morts » a retenti ironiquement et vainement dans le grand silence du néant. Aucun n’a répondu : Présent ! » (Lux).
Mais ils ont parlé, ces morts, par la voix de leur poète, Marc de Larreguy de Civrieux, qui les a suivis « dans le doux nirvâna de leur suprême pose ! » et voici ce qu’ils disent :
« Taisez-vous… Prenez garde à eux… Laissez-les seuls,
Roulés dans leurs toiles de tente…
Ou bien craignez, craignez que les Morts ne vous hantent
D’hallucinants remords et de folle épouvante,
Si vous touchez à leurs linceuls ! »
Enfin, on peut considérer encore comme prêtres de la patrie tous ceux qui entretiennent cette mentalité collective qui pousse les individus vers le troupeau discipliné : Chefs de partis ou de groupes, Moïses du Nationalisme ou du Socialisme. Nous avons vu avec quelle chaleur Jaurès parlait des femmes patriotes de 1793. Et nous sommes tout à fait de l’avis de Colomer qui écrivait, avant sa conversion au bolchevisme : « En apprenant aux jeunes hommes à se discipliner aux règles d’un Parti socialiste qui n’oubliait pas d’être français, Jean Jaurès faisait la même besogne que Ferdinand Brunetière en leur enseignant de suivre les dures leçons d’obéissance de la hiérarchique Église et que Maurice Barrès en les incitant à la gymnastique morale du bon patriote. À l’heure du danger, les apparentes raisons s’oublient, les fantômes d’idées s’évanouissent, mais ce qui reste chez tous identique, c’est l’habitude de la discipline, le mouvement mécanique du tassement et du rangement pour une action collective ; c’est l’oubli de la conscience individuelle, le souvenir des gestes qui font marcher en ordre pour obéir à la loi. » (À nous deux, Patrie).
Combien de prolétaires oublient qu’ « Il n’est pas de sauveur suprême ». Drieu La Rochelle proclame : « Je ne répondrai à aucune mobilisation, ni celle des patries ni celle des partis. » Voilà l’homme tel qu’il doit être. Que l’être s’appartienne d’abord. Qu’il soit lui-même en toute chose, il répudiera toutes les religions, et parmi celles-ci, la plus sanguinaire de toutes à l’heure présente : le patriotisme.
II. Patriote — Évolution du mot. — Patriote, du grec patriotès, qui voulait dire : compatriote ; au sens primitif il désignait donc : celui qui est du même pays. L’équivalent serait, aujourd’hui, dans le langage familier : pays, payse. « Le Breton (Hume), homme actif, liant, intrigant, au milieu de son pays, de ses amis, de ses parents, de ses patrons, de ses patriotes. » J.-J. Rousseau (Lettre à Guy, 2 août 1776.) Puis le mot signifie : celui qui aime sa patrie, qui se dévoue à ses compatriotes. « Vauban…, ce véritable grand homme pour qui le duc de Saint-Simon, cet âpre censeur, inventa et à si juste titre, le mot de patriote. » Raudot. Mes oisivetés, p. 1, Paris 1863. « Patriote, comme il l’était (Vauban), il avait été toute sa vie touché de la misère du peuple et de toutes les vexations qu’il souffrait. » (Saint Simon). L’Académie ne donne ce mot pour la première fois que dans son édition de 1762. (Littré).
Avec la Révolution, un sens nouveau est donné à ce mot : Est patriote celui qui veut organiser la patrie par la liberté. Patriote devient synonyme de révolutionnaire ; il a pour antonyme : aristocrate. « Le titre de patriote s’applique à celui qui est l’ennemi des distinctions de castes et de privilèges. » (La Châtre). On comprend ainsi la phrase du Prince de Ligne : « Patriote, mot honorable qui commence à devenir odieux. » (Lettre à Joseph II). Le patriote avait pour ennemis, à cette époque, les nobles, le clergé, les chouans. Patriotes étaient les soldats de la République. « Les patriotes
Et le mot continue son évolution, sous Louis-Philippe les républicains seuls se disent patriotes ; mais bientôt au fur et à mesure que se développe et grandit la bourgeoisie, bonapartistes, légitimistes, descendants d’émigrés ou petit-fils de « sans-culottes » tout le monde devient « Patriote », on ne donne plus à ce mot le sens de compatriote, on oublie sa synonymie avec révolutionnaire ; on lui octroie sa nouvelle signification : dévot de la Patrie. De sorte qu’on assiste au renversement des rôles : les défenseurs des principes de 1789 ne se disent plus que bien mollement « patriotes » ; les révolutionnaires sont devenus nettement antipatriotes (du moins en paroles), et les plus farouches patriotes se réclament justement des idées et des formes de gouvernement que la Révolution a combattues !
Pour nous, résumant tout ce que nous avons dit jusque-là, notre définition sera : la Patrie est la divinité ; le Patriotisme est la religion de la Patrie ; le patriote est le fidèle du patriotisme.
Le modèle. — Comment doit se comporter le bon patriote ? Que doit-il penser ? Que doit-il faire ? Autant de questions insolubles si le patriote-type n’avait été établi depuis les origines, gabarit sur lequel chacun se modèlera ; de même qu’il existe — idéalement — le parfait chrétien, le parfait musulman, le parfait bouddhiste, etc., pour croyants des autres religions. Le vulgaire, ayant la perfection devant les yeux, fera comme le geai ; il tâchera d’égaler le paon.
En France, on peut considérer Corneille comme le créateur de génie de ce monstre-type qu’on nomme : le patriote. Corneille, nourri d’antiquité (l’Antiquité, toujours !), planant dans les sphères éthérées de l’inaccessible, en matière de psychologie, a créé des personnages dominés par l’abstraction : Devoir. Pour ceux de Polyeucte, Dieu seul compte ; pour ceux d’Horace, c’est la Patrie. Ces types sont dits « Cornéliens ». Le patriote sera donc cornélien, c’est-à-dire qu’il n’aura d’humain que sa forme extérieure. Un court examen d’Horace nous donnera les traits essentiels du bon patriote. On connaît le sujet de la tragédie : Albe et Rome sont en guerre. Rome confie son sort à Horace et