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mais des individus conscients à la recherche de toutes les vérités.

Le mot Rébellion a pour synonymes : Émeute, Insurrection, Mutinerie. Mais comme tous les synonymes sont imparfaits, il nous paraît nécessaire d’analyser, ici, chacun de ces mots et d’autres encore comme : Résistance, Révolte pris dans leur vrai sens et selon les actes, les faits, les théories, les raisonnements qui se rapportent à ces différents mots ( voir ces mots). Nous devons les examiner avec notre raison et notre mentalité qui ne sont certes pas la raison et la mentalité bourgeoises soumises à l’autorité légitime. Par le fait même, nous sommes en rébellion, en résistance ouverte contre la façon de comprendre ces mots selon l’enseignement officiel. Selon le Droit bourgeois : « Pour que la rébellion constitue une infraction punissable, il faut : 1° Qu’il y ait « attaque ou résistance avec violence et voies de fait » ; 2° que cette attaque ou résistance soit dirigée contre « les officiers ministériels, les gardes-champêtres ou forestiers, la force publique, les préposés à la perception des taxes et des contributions, les porteurs de contraintes, les préposés des douanes, les séquestres, les officiers ou agents de la police administrative ou judiciaire » ; 3° que les personnes ainsi déterminées agissent « pour l’exécution des lois, des ordres ou ordonnances de l’autorité publique, des mandats de justice ou jugements ».

La rébellion constitue un crime : a) lorsqu’elle a été commise par plus de vingt personnes, soit armées, soit non armées (dans le premier cas, elle est punie des travaux forcés à temps ; dans le deuxième, de la réclusion) ; b) lorsqu’elle a été commise par une réunion armée de trois personnes et plus, jusqu’à vingt (elle est alors punie de la réclusion). En toutes autres circonstances, la rébellion est un simple délit, puni correctionnellement.

L’article 219 du Code pénal assimile aux réunions de rebelles les émeutes qui peuvent éclater dans les ateliers publics, les hospices ou les prisons. Celui qui fait acte de rébellion est un rebelle : Il refuse d’obéir à l’autorité légitime, il se révolte.

Mais la rébellion ne peut être considérée comme un forfait que si elle est vaincue. Les rebelles victorieux sont des héros, des justiciers, des sauveurs de toutes sortes de belles entités, selon les circonstances, les lieux, les motifs et les buts de la rébellion. Selon le point de vue où l’on se place, la Rébellion est sainte, héroïque, sacrée ou elle est horrible et criminelle. Dans toutes les Révolutions, ou politiques, ou religieuses, ou sociales, sont ordinairement considérés comme rebelles ceux qui se révoltent contre un joug, une tyrannie, un régime. Que ces rebelles aient conquis le Pouvoir, ou renversé le tyran ou transformé le régime, ce sont, alors, les vaincus, s’insurgeant à leur tour, qui deviennent les rebelles.

En principe, le Rebelle a toujours tort, selon les soutiens ou les partisans de l’ordre établi. S’il réagit dans son acte de rébellion, s’il est vainqueur, alors, il n’a plus aucun tort. Il est le héros de la Justice, de l’Indépendance, du Droit, de la Liberté. Si les combattants de la Commune. n’avaient pas été vaincus par l’armée de Versailles, en mai 1871, ils eussent été les fondateurs immortels du Régime Républicain pour lequel ils sont morts.

La rébellion c’est, pour l’agent des mœurs, l’honnête femme qui résiste à l’infâme maladresse, à l’ignoble erreur de ce voyou légal qui arrête souvent, à tort et à travers, des malheureuses coupables de se trouver seules sur la voie publique. Cet individu est assermenté et quand il prétend avoir vu cette femme, non accompagnée, proposer par ses allures le commerce de son corps, il est cru sur parole, car il est assermenté. Le magistrat donne rarement tort à l’auteur d’une arrestation opérée par l’un de ces bandits des Mœurs et,

s’il soutient qu’il y eut rébellion, la malheureuse n’est pas seulement flétrie de la mise en carte, c’est-à-dire inscrite et assujettie aux règlements ignominieux de filles soumises et ainsi matriculées dans le troupeau des prostituées, elle doit répondre de l’accusation d’injures et coups à agent de la force publique et se voit condamnée sans délai à plusieurs mois de prison. À la prison de Saint-Lazare, elle fait connaissance d’autres rebelles, victimes de la Police presque toujours, en tout cas, victimes de la société qui prétend que la réglementation policière de la prostitution est une institution magnifique, digne de la société bourgeoise qui règlemente ce dont elle a besoin. En effet, la Prostitution est nécessaire à la pourriture bourgeoise, au nom de sa morale hypocrite, comme le Militarisme et la Caserne lui sont indispensables au nom de son Patriotisme. Pour l’un et pour l’autre, ce sont les enfants du Peuple qui sont enrôlés et sacrifiés. S’ils osent se regimber, au moment de l’enrôlement ou après, ils sont d’inqualifiables rebelles, de monstrueux mutins et, pour ceux-là, le Code n’est pas tendre. Ne faut-il pas, au gré des profiteurs du Régime bourgeois, de la chair à plaisir et de la chair à canon ?

Il y a également rébellion dans les masses exploitées. On ne vénère pas les enrichis du travail des autres. La classe ouvrière, par moment, semble prendre conscience de sa force et de sa valeur. On a pu le constater, surtout avant la terrible guerre de 1914-1918, au temps où le Prolétariat savait s’organiser en dehors des politiciens et des intellectuels et, confiant en lui-même, croyait à son émancipation sociale par sa propre action, directement exercée contre tous ceux qui exploitent, commandent, trompent, asservissent. Il était sur la bonne voie du syndicalisme révolutionnaire, se suffisant pour affranchir les producteurs du Patronat, du Salariat et de l’Autorité sous toutes ses formes. Les travailleurs reviendront à ces efficaces méthodes. Ils répareront les dégâts de la désunion causée par la question politique et ils rattraperont le temps perdu.

Il nous faut parler ici d’un genre de rébellion particulièrement intéressant. Cela se passa pendant la guerre de 1914-1918 et l’on en a parlé depuis. Des volumes, des articles de journaux ont donné des éclaircissements sur ces faits connus maintenant et classés sous le titre de Mutineries dans l’Armée française. Il y a déjà, en ce sens, de significatives rébellions contagieuses.

C’est ainsi que, dans le journal l’Œuvre, Paul Allard a publié sous ce titre une série d’articles, d’après les Comités secrets qui se sont tenus à la Chambre des députés, sur les Mutineries de 1917.

Ces articles ont fait sensation et nous pensons que le volume qui paraîtra aura le succès de curiosité qu’il mérite. Il faut savoir ce que furent ces mutineries d’après les Comités secrets. Voici donc ce qu’annonçait Paul Allard, dans le journal l’Œuvre, du 26 août 1932 :

« C’est le 29 juin 1917 que s’ouvrit — dans quelle atmosphère de fièvre et de passion ! — la deuxième série des Comités secrets : celle où furent longuement évoquées les fautes commises par le Haut Commandement dans la conception et l’exécution de la meurtrière et criminelle offensive du 16 avril 1917 et ses conséquences les plus directes et les plus douloureuses : les mutineries.

« Et c’est une des premières révélations historiques aujourd’hui incontestées des Comités secrets de juin et juillet 1917 : la révolte des « poilus » — qui s’étendit d’une manière insoupçonnée du peuple français et des combattants eux-mêmes — sur tous les fronts, même les plus lointains (Salonique, Palestine, etc.), résulte de l’inutile massacre de plus de 100.000 soldats français, victimes de l’impéritie et d’on ne sait quel délire d’orgueil et de vertige de triomphe facile du Haut Commandement, représenté par les généraux Nivelle, Mangin, Micheler et Mazer. »