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» Et nos chefs militaires s’hypnotisent, eux aussi, sur des formules ! Quand ils disent aux combattants qu’il faut passer, coûte que coûte, la formule leur suffit ! Ils ne savent pas que, lorsque les mitrailleuses sont en action, il n’y a aucune volonté humaine, aucun héroïsme qui puisse venir à bout de ces instruments-là !…

» Or l’attaque du 16 avril, cause essentielle des mutineries, a été ordonnée alors que les états-majors savaient que les ennemis étaient au courant de nos intentions. L’ennemi savait parfaitement comment elle se déclencherait, à quelle heure elle se déclencherait et comment elle serait conduite !…

» M. Victor Dalbiez montra, à l’aide de documents, que les chefs d’unités savaient — et certains pleuraient en donnant aux poilus l’ordre de sortir de la tranchée — qu’ils conduisaient leurs troupes à une mort inutile. En vingt minutes, des unités entières ont été fauchées. Ce qu’il y a de plus grave, c’est que quinze jours après, lors des attaques du 5 mai, les mêmes erreurs, les mêmes fautes, les mêmes crimes ont été commis. »

Enfin, le jeudi 1 septembre 1932, parait le septième article sous ce titre : Et M. Abel Ferry lui-même :

« — Pourrons-nous passer un quatrième hiver de guerre ? demanda ensuite d’emblée M. Abel Ferry. Le pourrons-nous dans les circonstances présentes ? Chacun de vous connaît maintenant, messieurs, la crise morale, douloureuse, par laquelle passe l’armée française. Le poilu n’est pas tel que le représentent les journaux. C’est une pauvre chose héroïque qui souffre, qui souffre beaucoup et qui, actuellement, est arrivé à un degré d’usure physiologique dont, ici, vous n’avez pas idée. »

Voilà ce que disait, en pleine guerre, un député français qui devait, plus tard, être tué à l’ennemi, M. Abel Ferry. Il n’hésitait pas à demander au gouvernement, pour calmer la révolte des héros, des sanctions contre les chefs responsables des plus grandes fautes…

Après avoir ainsi exposé les causes — strictement militaires — des mutineries de l’armée, la Chambre entendit les rapports de délégués au front.

Et, d’abord, M. Aristide Jobert.

M. Jobert n’hésita pas à opposer ceux qu’elles avaient chargés, au front, de missions d’enquête.

Il fit une antithèse liminaire, l’impunité des coupables haut placés et l’impitoyable sévérité pour les véritables victimes : ceux qui se sont mutinés à la suite de ces effroyables aventures. C’est immédiatement après que, sur tout le front, se produisirent, dans l’armée, des révoltes.

Quant aux causes de la révolte, il y a, d’abord, le retard systématique des permissions ; les cantonnements défectueux ; le repos dérisoire donné à certaines unités combattantes ; les brimades…

Mais, ô surprise… après ce septième article… silence et déception. Sans prévenir, l’Œuvre avait cessé cette publication d’articles sur les Mutineries militaires de 1917. Que s’était-il donc passé ? Comment expliquer cette suspension soudaine ?

C’est le 10 septembre 1932 que parut une explication sous le titre : La Fin des Mutineries.

« Nous continuons, disait Paul Allard, de recevoir, à l’Œuvre, une très abondante correspondance dont le thème essentiel est celui-ci : « Pourquoi ne poursuivez-vous pas la publication de vos passionnantes révélations sur les mutineries dans l’armée française en 1917 ? »

» Pourquoi ?

» Pour une très simple raison. C’est que l’Œuvre est un journal qui se pique de suivre l’actualité quotidienne et ne se considère pas comme un dépôt d’archives historiques, que le sujet des mutineries est immense et qu’il fallait bien arrêter ce récit à un certain moment sous peine d’encombrer, indiscrètement, les colonnes d’un journal auquel je suis très sincèrement recon-

naissant d’avoir bien voulu présenter à sa clientèle avertie les bonnes feuilles du livre que les Éditions de France vont lancer, dès octobre prochain, sur les « Dessous de la guerre » révélés par les comités secrets.

Au surplus, mon éditeur a eu la gracieuseté de m’autoriser à faire bénéficier les lecteurs de l’Œuvre des extraits les plus importants relatifs aux mutineries. Je lui en sais gré ; mais je ne puis lui demander de pousser l’abnégation jusqu’à me permettre de publier le texte intégral de mon livre dans les colonnes de l’Œuvre… »

Nous voici maintenant fixés sur ce que furent les rébellions pendant la guerre.

Cela nous dispense d’y ajouter d’autres arguments. Aussi bien, les mots résistance, révolte restant des synonymes de rébellion nous pouvons nous y reporter. Nous y trouverons sans doute un sens particulier qui dissipera toute confusion entre ces divers mots d’une ressemblance toute relative. Le mot Rébellion n’a de réelle parenté qu’avec le mot Mutinerie : Au point de vue militaire, il en est le frère jumeau. Au mot Mutinerie nous avons donné une documentation sur ce qui passa particulièrement dans la marine. Pour le mot Rébellion, l’occasion s’est heureusement présentée d’utiliser les précieux documents fournis par les articles de Paul Allard sur les Comités Secrets. — G. Yvetot.


RÉCIPROCITÉ n. f. Sur quelle base asseoir les accords entre les humains, dès lors qu’en sont exclues l’obligation et la sanction ? De quelle méthode se servir pour réaliser les rapports et les accords entre les constituants d’un quelconque milieu humain – rapports et accords qui croissent en complexité, à mesure que l’intelligence s’affine et que devient plus considérable l’acquis des connaissances humaines, que s’amplifie le rayon de leurs applications ? Quel principe poser comme fondement, comme norme des ententes et contrats de toute espèce que les êtres humains peuvent être amenés à envisager et à conclure entre eux pour leur permettre de se comporter les uns à l’égard des autres, selon leurs besoins, leurs désirs, leurs aspirations – qu’il s’agisse d’unités isolées ou associées ?

Première considération. Puisqu’on entend ignorer la coercition sous tous ses aspects – autrement dit, la réglementation légale et les sanctions pénales ou disciplinaires –, il est de toute nécessité que la méthode dont on se servira pour fonder les rapports et les accords entre les hommes implique en soi « l’équité » et l’absence totale de duperie, de tromperie, de dol.

Tout le monde sait que l’objet présumé de la loi, c’est de rendre efficaces les conditions qui déterminent ou sont censées déterminer les rapports entre les habitants d’un territoire donné. Cette efficacité s’obtient par l’application de certains châtiments à ceux qui contreviennent à la loi. On comprend que s’impose la loi, puisque les conditions qui, dans les sociétés humaines, président aux rapports et aux accords entre leurs membres sont établies sans leur consentement unanime, souvent même malgré la protestation de minorités importantes ; en tous cas, sans qu’il ait jamais été tenu compte de l’avis ou de l’opinion des transgresseurs ou des contrevenants. C’est la crainte de subir ces sanctions qui empêche un grand nombre de personnes de transgresser la loi – tout au moins ouvertement. D’ailleurs, il y a des individus qui préfèrent courir le risque d’un châtiment, quelquefois très dur, plutôt que d’observer les termes d’un contrat qui leur est imposé, ou d’accords qui les gênent ou leur répugnent, pour une raison quelconque.

Il existe une méthode dont l’application absolue garantirait à ceux qui la choisiraient comme base de leurs rapports ou de leurs accords qu’ils ne seront lésés, dupés, ni trompés – matériellement parlant –, qu’ils ne seront diminués ni même atteints au point de vue