Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/328

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REF
2294

gagné de nombreux partisans à la Réforme ; il fit même briser les images des saints et abolir le culte catholique. Toutefois, c’est Calvin, retenu par lui à Genève, qui devait organiser définitivement la nouvelle Église. Fils du procureur fiscal de l’évêque de Noyon, ce dernier était né en 1509. Tonsuré à neuf ans, chapelain à douze, curé de Marteville à dix-huit, il fut élève au collège de Montaigu à Paris, poursuivit des études de droit aux universités d’Orléans et de Bourges, puis revint à Paris suivre les cours du Collège de France. Gagné aux idées religieuses venues d’Allemagne, il rédigea en 1533, pour son ami Nicolas Cop, recteur de l’Université, une harangue d’inspiration nettement luthérienne. Obligé de s’enfuir, il se réfugia à Nérac, près de la reine Marguerite de Navarre, puis mena une vie errante. La publication de son livre l’Institution de la religion chrétienne, paru à Bâle en 1536, le rendit célèbre. C’est à contrecœur que Calvin, cédant aux objurgations de Farel, se fixa à Genève.

Chassé en 1538, il se retira à Strasbourg. Mais rappelé en 1541, il s’installa en maître dans la ville, où il régna despotiquement jusqu’à sa mort. Les magistrats locaux ne furent plus que ses humbles serviteurs ; un Consistoire, composé de douze anciens et de cinq ministres, fut chargé de diriger les consciences et de surveiller la conduite de chacun. Une première faute entraînait une réprimande ; une récidive la privation de la cène ; une nouvelle rechute était punie d’une amende, de la prison, parfois de la mort. Composition des repas, luxe des habits étaient réglés d’une façon minutieuse. Pour lui-même, Calvin ne touchait que 200 écus d’appointements ; il menait une vie austère et très occupée ; il ne prit d’autres titres que ceux de président du consistoire et de professeur de théologie. Toutefois, son orgueil était incommensurable. « Dieu, affirmait-il, m’a fait la grâce de me déclarer ce qui est bon ou mauvais. » Un Genevois ayant mal parlé de Calvin, « ce méchant homme, ce Picard », dut venir implorer son pardon à genoux, après avoir fait le tour de la ville, tête nue, en chemise, une torche à la main. Quiconque ne le saluait pas était condamné au moins à une amende. Violent et d’humeur colérique, il ne souffrait aucune opposition. Un bourgeois fut décapité parce qu’on avait trouvé dans sa maison un livre du réformateur avec, en marge d’un passage, les mots « toute folie ». Bolsec fut arrêté, puis banni pour avoir nié la prédestination. Michel Servet, un médecin réputé, fut condamné au feu et brûlé, en 1553, parce qu’il soutenait des idées théologiques contraires à celles de Calvin.

À Genève, la vie fut extraordinairement morose. Les nouveaux mariés ne devaient ni chanter, ni danser, le jour de leurs noces ; interdiction leur était faite de porter des souliers à la mode de Berne. Même dans les plus grands festins, il était défendu d’avoir plus de trois services, comportant chacun quatre plats au maximum. Représentations théâtrales, danse, jeu de boules ou de cartes étaient proscrits. On attachait au poteau infamant l’homme surpris des cartes dans les mains. Des censeurs à qui nulle porte n’était fermée, ni de jour, ni de nuit, inspectaient les familles pour apprécier leur genre de vie et leur degré d’instruction. Calvin disposait en outre d’une armée d’espions qui le renseignaient sur les faits et gestes des habitants. De 1542 à 1546, 76 personnes furent bannies, 58 furent brûlées, pendues ou écartelées, dont 26 sorciers, hommes ou femmes, que l’on accusait d’avoir introduit la peste dans la ville.

Avec son Collège, dont la direction fut confiée à l’humaniste Théodore de Bèze, Genève devint la citadelle du protestantisme. Des réfugiés accourus de partout, et qui s’instruisaient pour faire une propagande plus efficace dans leurs pays d’origine, donnaient à cette cité une allure cosmopolite. Malgré sa faible santé, Calvin déploya, jusqu’à ses derniers jours, un grand

zèle pour la diffusion de sa doctrine. Quand il mourut, en 1564, il eut d’humbles funérailles, comme il l’avait demandé, mais la foule se pressait, innombrable. Son successeur, de Bèze, fut toutefois moins inhumain ; et l’on disait couramment à Genève : « Il vaudrait mieux être en enfer avec de Bèze qu’en paradis avec Calvin. » Le calvinisme se répandit rapidement en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Écosse. En France, il y avait plus de deux mille églises obéissant à ses directives, quand mourut le réformateur. Comme la Paix d’Augsbourg n’accordait la liberté qu’aux luthériens, la situation des partisans de Genève fut longtemps précaire en Allemagne, malgré l’appui de l’électeur palatin et, plus tard, de l’électeur de Brandebourg. À cause de son caractère démocratique, le calvinisme fut bien accueilli dans le nord des Pays-Bas, où il devint très vite la religion dominante. En Écosse, John Knox, qui s’était réfugié pendant quelque temps à Genève, organisa l’Église presbytérienne, toute inspirée des idées calvinistes. Elle n’admettait que des ministres égaux entre eux et nommés par le peuple ; l’autorité appartenait à des assemblées élues, composées d’anciens et de ministres. Officiellement reconnu en 1560 par le Parlement écossais, le presbytérianisme parvint à se répandre même en Angleterre.

Dans ce dernier pays, la Réforme fut l’œuvre d’Henri VIII. Ce roi manifesta d’abord un vif attachement pour le catholicisme ; il fit brûler les premiers livres de Luther qui parvinrent en Angleterre, et composa contre le protestantisme un pamphlet qui détermina le pape Léon X à lui décerner le titre de défenseur de la foi. Il entendait cinq messes les jours ordinaires, trois les jours de chasse. Mais c’est en vain qu’il sollicita de Clément VII la rupture de son mariage avec Catherine d’Aragon, tante de Charles-Quint ; craignant de se brouiller soit avec l’empereur, soit avec le roi d’Angleterre, le pape chercha à gagner du temps. Or, Henri VIII, talonné par son amour pour Anne Boleyn et irrité par les atermoiements et les réponses évasives de Clément VII, se décida finalement à faire casser son mariage par l’archevêque de Cantorbéry, Cranmer, après consultation des principales universités d’Europe qui lui donnèrent raison sur le fond du litige. Excommunié par le pape, il rompit complètement avec Rome, se fit reconnaître chef de l’Église anglicane par le Parlement et s’attribua les prérogatives du pouvoir spirituel. L’Acte de suprématie (1534) proclamait qu’il avait « tout pouvoir d’examiner, réprimer, redresser, réformer et amender tels erreurs, hérésies, abus, offenses et irrégularités qui doivent ou peuvent être réformés par autorité ou juridiction spirituels. » Dans le bill des six articles, paru en 1539, Henri VIII décrétait, en conséquence, que les catholiques qui refuseraient de reconnaître sa suprématie religieuse étaient coupables, mais il maintenait, sous peine du feu, la confession, la présence réelle, la communion sous une seule espèce, la messe.

Catholiques et protestants furent persécutés avec une égale férocité, les premiers comme traîtres, les seconds comme hérétiques. On compta les victimes par milliers ; les gens riches, surtout, dont les dépouilles étaient acquises aux proscripteurs, furent condamnés sans miséricorde. Le roi confisqua pour plus de sept millions de biens appartenant à des monastères dont les abbés ne siégeaient pas au Parlement ; il traduisit la Bible, et sa traduction fut la seule admise ; tous les évêques durent lui demander l’investiture. Après avoir disputé pendant cinq heures avec un maître d’école nommé Lambert, il le somma de choisir entre la rétractation ou la mort ; et comme son contradicteur préférait la mort, le monarque le fit brûler à petit feu. Sa cruauté fut inouïe, même à l’égard de sa famille. Anne de Boleyn monta sur l’échafaud en 1536 ; le lendemain de l’exécution, il se mariait avec Jeanne Seymour, qui expira