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Les thèses georgistes pénètrent de plus en plus dans les masses populaires, malgré le boycottage qu’elles ont subi en même temps de la part du pape Léon XIII et des socialistes de l’époque. Elles ont reçu un commencement d’application en Australie, en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis (à Pittsburg, à New York, notamment, où l’impôt sur la valeur du sol nu est progressivement substitué à l’impôt sur les constructions) ; au Canada, notamment dans la ville de New Westminster (voir Terre et Liberté d’octobre-novembre-décembre 1931). Le pays qui s’est le mieux engagé dans cette voie est le Danemark. En 1902, sous l’énergique impulsion de Sophus Bertelsen, les petits agriculteurs danois demandèrent que fussent remplacés les impôts indirects par un impôt sur la valeur du sol nu (améliorations non comprises). Depuis, sous l’influence des idées georgistes, le Parlement danois est entré partiellement dans cette voie. Il en résulte qu’actuellement (voir Terre et Liberté de janvier-février 1933), les contribuables danois paient, certes, sensiblement les mêmes impôts qu’avant la réforme foncière, mais que les immeubles et améliorations sont sensiblement détaxés ; tandis que, par contre, le sol nu est plus fortement taxé. Ainsi, un immeuble d’une valeur marchande de 10.000 couronnes, et un terrain à bâtir de 10.000 couronnes à Copenhague auraient, avant la réforme, payé, l’un et l’autre, 100 couronnes d’impôts par an. Or, après la réforme, le premier ne paye que 8,1 couronnes et le deuxième (le sol paresseux) 81 couronnes. Le propriétaire de ce dernier est, par-là, incité à mettre son terrain en vente ou à le bâtir : nouvelle confirmation de la thèse de Henry George. De même, si les terres incultes étaient taxées, leurs propriétaires seraient, par-là même, incités à les mettre en vente ou en culture.

À Paris, par exemple (voir article de M. Jean Montigny, dans l’Information du 31 décembre 1926), le propriétaire d’un terrain nu de 1.000 mètres carrés paye, au titre de l’impôt foncier des terrains non bâtis, 400 francs par an et, avec les taxes communales, 600 francs en tout. S’il y construit un immeuble qui lui rapportera 75.000 francs de revenus nets, il payera, au titre de l’impôt foncier des propriétés bâties, environ 16.500 francs et, avec les taxes municipales, 25.000 francs environ. Dès lors, en n’acquittant que des taxes insuffisantes sur son terrain inutilisé, le propriétaire a intérêt à ce que, par suite de l’activité des autres habitants, son sol paresseux prenne de la valeur et à ce que la collectivité soit privée d’un immeuble qui lui serait utile.

Impôt de remplacement. — Nous insistons sur le fait que l’impôt sur le sol nu doit être un impôt de remplacement. Si bien que la réforme georgiste ne doit pas être uniquement la création d’un impôt sur la valeur foncière, mais plutôt l’abolition des impôts actuels et leur remplacement par un impôt sur la valeur foncière (voir article de Giannelia : Aperçu historique des impôts fonciers du Danemark, dans Terre et Liberté, janvier-février 1932).

Remarquez que l’impôt que Snowden avait fait voter, quand il était Chancelier de l’Échiquier, n’avait pas ce caractère, puisqu’il s’ajoutait aux autres. Ajoutons que la nouvelle taxe municipale sur les valeurs vénales des propriétés non bâties, prévue par M. Piétri, dans son projet de réforme des finances locales, s’inspirait de cette pensée, mais avec la différence qu’elle ne s’appliquait qu’au terrain urbain, qu’elle était facultative et qu’elle s’ajoutait aussi aux autres (voir Terre et Liberté de juillet, août, septembre 1931). Au moment où la Ligue de la république et la Ligue de la démocratie ont organisé leurs congrès pour la réforme de l’octroi, nous avons suggéré que les octrois (ces barrières douanières intérieures) fussent supprimés et leur rendement remplacé par un impôt sur le sol nu (voir Terre et Liberté de janvier-février 1932).

Toubeau, dans sa Répartition métrique des impôts, a montré la nécessité de frapper d’un impôt les terres cultivables non cultivées (voir dans le n° 2 de la Terre, 1928, notre proposition d’adapter ce système aux terres non cultivées au Maroc) et (dans la Terre, n° 4, 1927) les projets de Sun Yat Sen, qui avait connu les idées georgistes et qui voulait frapper la terre nue d’une taxe de 1 % : la valeur de la terre étant déclarée par le propriétaire. Mais si cette déclaration était estimée trop faible par le fisc, l’État pourrait la racheter au propriétaire au prix fixé par lui. Bien entendu, cet impôt devait couvrir toutes les dépenses de l’État chinois.

Rapprochons les projets de Sun Yat Sen, à ce dernier point de vue, de celui de M. Henri Mazel qui, en cas d’expropriation de terrains et de terres pour cause d’utilité publique, a demandé que les jurys d’expropriation ne soient point autorisés à estimer le sol plus haut que ne l’ont fait les propriétaires des parcelles expropriées, dans leur déclaration pour le calcul de l’impôt.

Réforme foncière et réforme douanière. — Le remplacement des autres impôts par une taxe sur le sol nu aurait de grandes conséquences générales. Actuellement, pour ne pas imposer le sol nu, et donc pour épargner les propriétaires à la fois monopoleurs et paresseux, l’État frappe la production et les revenus au point de décourager les travailleurs. Mais comme il a des besoins budgétaires impérieux, il doit recourir, en plus des impôts directs, aux impôts indirects que le contribuable paie sans s’en douter. Mais tous ces impôts élèvent le coût de la vie, donc le coût du travail, donc le prix des productions nationales qui sont concurrencées par les marchandises étrangères sur le marché international et même national. Pour protéger ses producteurs sur le terrain national, l’État dresse alors à ses frontières des barrières douanières, établit des tarifs différentiels de transport, et des règlements « hygiéniques » entravant les importations de l’étranger. Sur le marché international, il substitue et facilite le dumping de ses producteurs, fait jouer les primes à l’exportation. En un mot, il organise la guerre douanière qui prélude à la guerre diplomatique et à la guerre tout court.

Nationalisation du sol. — Le georgisme tend donc à socialiser la rente foncière. Il veut rendre à la collectivité ce qui appartient à la collectivité ; à l’individu ce qui appartient à l’individu. Mais l’application du georgisme soulève de telles résistances, par suite même de l’incompréhension de ceux qui en seraient les bénéficiaires, que plusieurs se sont demandés s’il ne serait pas plus sage de préconiser la nationalisation du sol, grâce à quoi la réforme foncière pourrait être réalisée à pied d’œuvre, sur un terrain neuf, c’est le cas de le dire. Mais, dans ce cas, il faut adopter une méthode d’expropriation du sol qui serait nationalisé. Et c’est ici que se présentent des solutions divergentes.

S’il est vrai que la propriété du sol résulte le plus souvent de la violence, à l’origine, la propriété n’est pas respectable et, dans ce cas, il importe de la nationaliser sans indemnité. C’est ce qui a été fait, par exemple, en Russie et dans les pays de l’Europe centrale et orientale.

George, qui ne se donnait pas comme révolutionnaire, encore que le pape Léon XIII l’ait considéré comme tel, était hostile à toute indemnité aux propriétaires « actuels ». Par contre, des socialistes comme Karl Marx, Engels, Vandervelde, etc…, ont envisagé l’expropriation avec indemnité.

Le champion le plus célèbre de la nationalisation du sol a été Rivadavia qui, au commencement du XIX (1826), esquissa une ébauche de nationalisation du sol. Mais, comme tous les habitants de l’Argentine pouvaient dès lors se procurer facilement de la terre, louée par des baux emphytéotiques de longue durée, la ré-