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le principe du sol, propriété publique, loué à bail à ceux qui voulaient l’exploiter, cet affermage rapporterait aujourd’hui à l’État « un revenu annuel de 11 milliards de dollars au bas mot, c’est-à-dire plusieurs fois supérieur au budget du pays tout entier. » Dans la Terre (juillet-août-septembre 1927), P. Giannelia a démontré que, par un simple impôt sur la valeur du sol nu, en Grèce, on pourrait facilement, et avec avantage, remplacer tous les impôts qui, actuellement, entravent l’essor du pays. Les Danois progressifs poursuivent leur campagne en faveur de cette louable substitution.

En France, il faudra bien qu’on s’attelle enfin à cette indispensable besogne. Étant donné le conservatisme étroit des propriétaires et des partis de droite, aggravé par la timidité des socialistes (qui sont, pour la plupart, affligés de révolutionarisme purement verbal), il faudra aborder la réforme foncière, sous des aspects urbains de préférence.

Pour l’action. — En tout cas, les partisans de la réforme foncière ont deux excellents plans d’action pratique. Ils ont été exposés : l’un, celui de V. Précy, dans un petit livre, La Rente foncière (3 francs, chez Sam Meyer, avenue de la Criolla, à Suresnes), et l’autre, celui de M. H. Aronstein, président de la Ligue belge pour la réforme foncière (dans Terre et Liberté de janvier-février-mars 1929). Précy suggère que les terres actuellement libres soient, non point aliénées ou laissées en jachère, mais louées aux enchères, renouvelées tous les trois ou cinq ans, de façon que le pays touche la rente foncière qui lui revient de droit. En ce qui concerne les terres occupées, il tient compte de la timidité ambiante. Il prévoit un impôt loyer, d’abord de 0, 1 % du prix du sol nu, d’où est déduit l’impôt perçu auparavant sur les constructions et améliorations. Chaque année, l’impôt loyer est augmenté de 0,1 % du prix du sol nu. Au bout de 10 ans, il atteint donc 1 %. Au bout de 28 ans, il est porté à 3 %. À ce moment, les enchères sont ouvertes, de deux ans en deux ans. La trente et unième année, les améliorations sont entièrement dégrevées et, au fur et à mesure que le budget s’équilibre, on détruit les impôts indirects les plus pernicieux pour la production, le commerce, l’activité, conformément à la doctrine georgiste.

Le plan de M. Aronstein, établi à la suite d’une étude de la loi du 16 septembre 1807 sur la plus-value foncière (mais qui n’est pas appliquée), s’inspire du plan de 1883 établi par Gide pour l’entrée du sol dans la propriété collective. Les terres seraient divisées en deux groupes :

1° — Les agricoles et forestières (et qui semblent destinées à le rester longtemps encore) seraient expropriées dans 99 ans. Sur la base d’un intérêt de 6 %, la somme à payer au comptant serait de 320 francs pour chaque tranche de 100.000 francs.

2° — Le terrain urbain et toutes les terres qui paraissent destinées à acquérir une plus-value rapide (terrains avoisinant les villes, les mers, les cours d’eau, les chemins de fer ou les routes de grande communication) seraient expropriés dans 50 ans.

Sur la même base, la somme à payer au comptant serait de 5.600 F, pour chaque tranche de 100.000 F. Il faudrait, en outre, prévoir la faculté pour la collectivité de racheter le droit d’occupation chaque fois qu’une mutation de ce droit viendrait à se produire, par suite de vente ou de décès. Bien entendu, MM. Aronstein et Précy prévoient aussi, et conjointement, en bon georgistes, un impôt loyer sur le sol nu.

Rappelons que si, dès 1883, quand Charles Gide a exposé son plan de nationalisation de la rente et du sol, on l’avait écouté, aujourd’hui, 50 ans après, on aurait obtenu d’intéressants résultats dans le sens de la réforme foncière. Ce n’est pas pour rien qu’un vieux

et sage proverbe méridional dit très judicieusement : « Qui gagne temps, gagne tout. » — A. Daudé-Bancel et Sam Meyer.


RÉFORMISME, RÉFORMISTE Le « réformisme » est la doctrine de ceux qui, tout en s’affirmant en faveur d’une transformation sociale ayant pour objet d’asseoir l’organisation de la société sur des principes et fondements opposés à ceux qui existent, se proposent d’aboutir à ce résultat par une série plus ou moins considérable de réformes partielles plus ou moins importantes, réalisées dans le cadre de la légalité.

« Réformiste » est le qualificatif qui sert à désigner la personne, le groupement, l’organisation ou le parti qui considère l’ensemble de ces réformes successives et légales, comme le meilleur, voire l’unique moyen de transformer le milieu social ; disons, pour être plus précis, de substituer au monde capitaliste le monde collectiviste ou communiste.

Les partis politiques qui se disent « d’avant-garde » et se proclament révolutionnaires sont tous plus ou moins réformistes. Plus ils sont réformistes, moins ils sont révolutionnaires et – ceci est la conséquence logique de cela – moins ils sont révolutionnaires, plus ils sont réformistes.

Il est, en effet, de toute évidence :

1° Que plus ils accordent de confiance à la réalisation de leur plan de réformes, moins ils en attribuent à leur plan de bouleversement révolutionnaire ;

2° Que plus ils consacrent au réformisme de leur activité idéologique et tactique, moins ils réservent aux fins révolutionnaires, qu’ils prétendent s’assigner, de leurs efforts théoriques et pratiques. D’où il est permis d’inférer, par le moyen du raisonnement ainsi que par la voie de l’observation, qu’on ne peut être sérieusement et réformiste et révolutionnaire, puisque ces deux méthodes de propagande et d’action s’opposent et nécessitent l’option.

Il n’est pas malaisé de saisir pour quel motif les partis et organisations socialistes ou socialisantes ménagent, avec une attention jalouse, le chou réformiste et la chèvre révolutionnaire. Ces groupements possèdent une aile droite, un centre et une aile gauche. L’aile droite se compose des éléments peu ou prou ralliés au mouvement réformiste : les uns, parce que, désabusés de l’action strictement politique que mènent les fractions bourgeoises dites « de gauche », se sont peu à peu rapprochés du socialisme ; les autres, parce que, adeptes tout d’abord du socialisme révolutionnaire, ils se sont insensiblement lassés des vaines attentes, des espoirs déçus, des échecs subis qui sont le lot de tout parti qui en est encore à ses premiers essais de réalisation.

L’aile gauche comprend des éléments non moins disparates : d’une part, ceux que la tiédeur des organes de direction, tiédeur s’exprimant, en chaque circonstance tant soit peu grave, par l’incertitude et le flottement, a fini par éloigner des solutions équivoques et des décisions ambiguës ; d’autre part, ceux qui, par tempérament, par conviction ou par intérêt, s’orientent vers les conclusions extrémistes des conceptions dont ils ont admis le point de départ et le point d’arrivée.

Enfin, il y a le centre, dont le sort et la fonction consistent à osciller sans cesse de droite à gauche et qui, penchant, selon les événements, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, immobilisent le mouvement d’ensemble du groupement (organisation ou parti) tiraillé tantôt vers la gauche et tantôt vers la droite.

Quand on parvient, cette constatation faite, à discerner de quelles fractions hétérogènes se compose un parti politique, on comprend aisément qu’il soit graduellement entamé, rongé et finalement dominé par le réformisme : s’il ne veut pas se priver de ses adhérents de droite, il faut qu’il sacrifie à l’action quoti-