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REL
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Tacite, comme il écrivait ses Annales vers 117 seulement, il a pu se faire l’écho de légendes, fort développées déjà à ce moment.

Restent les Évangiles et les Épîtres pauliniennes. Or, nous savons que les Évangiles officiels n’offrent pas plus de garantie que les Évangiles apocryphes. Sur leurs auteurs, nous n’avons aucun renseignement ; nous ignorons même leurs noms, car ceux de Marc, de Luc, de Matthieu, de Jean semblent fictifs. Depuis longtemps, on les estimait postérieurs à l’an 70 ; par contre, beaucoup croyaient qu’ils avaient dû paraître avant la fin du premier siècle. De nouvelles recherches ont montré qu’ils furent rédigés dans la première moitié du IIe siècle.

Tous les exégètes indépendants s’accordent pour nier la valeur historique du quatrième Évangile. « Les récits de Jean, déclare Loisy, ne sont pas de l’histoire, mais une contemplation mystique de l’Évangile ; ses discours sont des méditations théologiques sur le mystère du salut. » Écrit par un juif hellénisant, il trace du Christ un portrait absolument contraire à celui qu’avaient donné les Synoptiques. « Si Jésus a parlé et agi comme on le voit agir et parler dans les trois premiers Évangiles, affirme encore Loisy, il n’a pas parlé et agi comme on le voit agir et parler dans le quatrième. »

Les Synoptiques forment un groupe distinct. Matthieu s’inspire de Luc, qu’il modifie par endroits ; Luc, dans la forme que nous possédons, résulte du remaniement d’un texte plus ancien, que Marcion utilisait vers 140. Couchoud pense que Marc dépend du premier Luc ; Alfaric estime, au contraire, que Luc s’est inspiré de Marc, qui serait ainsi le plus ancien des Évangiles. Mais l’accord est complet entre ces deux auteurs pour déclarer que Marc et Luc sont pareillement dépourvus de valeur historique. Dans tous les cas, il faut conclure que les récits évangéliques présentent un caractère artificiel qui doit inspirer une extrême défiance. Et l’on s’explique que, dans un moment de franchise, saint Augustin ait écrit que, s’il ne faisait pas confiance au dire de l’Église, il ne croirait pas à l’Évangile.

Quant aux Épîtres de Paul, les critiques constatent que l’édition admise vers 140 différait beaucoup de celle qui a cours, aujourd’hui, parmi les catholiques ; et les textes frauduleusement ajoutés par l’Église sont ceux que l’on invoque de préférence pour montrer que le Christ a réellement vécu. Dans l’ancienne édition, nous ne trouvons sur Jésus que des renseignements très vagues, et l’on a l’impression de nager en plein mythe. Alfaric dit :

« Le Jésus de Paul n’offre à nos yeux qu’une image fuyante. Il demeure aussi impalpable que le « fils de l’homme » entrevu par Daniel en ses « visions nocturnes », qui venait « avec les nuées des cieux », vers « l’Ancien des jours », pour recevoir une domination éternelle sur l’ensemble des peuples, et qui symbolisait, pour le voyant, les Juifs fidèles, appelés à dominer sur toutes les nations. Son individualité n’est pas plus accusée que celle de ce « serviteur de Dieu » en qui le second Isaïe personnifiait l’Israël de l’exil, souffrant et agonisant pour les péchés d’autrui, montrant ainsi la voie aux égarés, et méritant pour lui-même un merveilleux triomphe ; pour mieux dire, il ne fait qu’un avec ces antiques figures. Il est né de leur fusion, il participe à leur nature, il appartient de même au monde idéal de la foi. »

Ainsi le Christ des Épîtres pauliniennes présente tous les caractères d’un être mythologique ; il n’a rien d’un personnage historique. Par ailleurs, Couchoud fait remarquer que, dans l’Apocalypse, on ne trouve aucun détail concernant le passé humain de Jésus ; de ces visions échevelées, l’on chercherait vainement à extraire quelque donnée positive sur l’agneau « immolé avant la fondation du monde » et qui doit, plus tard, pourchasser la Bête, héritière de l’esprit du Grand Dragon.

S’il s’agissait d’une autre religion que le christianisme, on n’hésiterait pas à conclure que Jésus est un dieu fictif, comme Osiris, Attis, Mithra, et qu’il n’eut jamais d’existence que dans l’esprit de ses adorateurs. Mais les Églises qui se réclament de lui comptent des millions d’adhérents ; elles sont puissantes, disposent d’immenses ressources et prétendent dominer finalement l’ensemble de la Terre. Devant une conclusion qui soulève la réprobation presque unanime des fidèles, et qui choque même les incroyants, beaucoup d’historiens se taisent ou ne parlent pas d’une façon claire.

C’est l’espérance d’un messie, d’un Christ, si répandue parmi les juifs, qui serait à l’origine des récits évangéliques. Tous les épisodes qu’on y rencontre répondent à d’anciennes prophéties. « Tous, constate Alfaric, exploitent, à leur manière, quelque vieux thème messianique. L’Évangile se présente, dans son ensemble, comme un décalque de l’Ancien Testament. Il ne fait qu’en transposer les oracles sous une forme plus ou moins historique. » De bonne heure, il exista des recueils de témoignages messianiques, groupés sous certaines rubriques, et qui servaient aux prosélytes de la foi nouvelle. C’est dans ces recueils qu’il faut chercher l’ébauche de la première Vie de Jésus. Paul et les autres apôtres, doués comme lui d’une ardeur mystique agissante : voilà quels furent, en réalité, les vrais fondateurs du christianisme. Sans eux, la petite secte juive qui se réclamait de Jésus n’aurait jamais fait la conquête du monde romain. Pour obtenir ce résultat, elle dut se dégager de ses premières attaches, rompre résolument avec le judaïsme et ouvrir toutes grandes les portes de ses sanctuaires aux gentils. Parmi les premiers fidèles, le nombre fut considérable des cerveaux mal équilibrés et des gens sans aveu ; néanmoins, dans l’ensemble, ils étaient plus désintéressés, moins hypocrites que les chrétiens d’aujourd’hui.


Retracer l’histoire du christianisme sortirait du cadre de notre étude ; du moins, nous dégagerons les traits essentiels qui donnent une physionomie bien particulière aux principales Églises qu’il a produites : catholicisme, vieux tronc encore debout, puis Église orthodoxe et protestantisme, vigoureux rameaux qui s’en détachèrent, le premier au XIe siècle, le second au XVIe.

L’Église romaine se prétend la seule Église du Christ, hors de laquelle il n’est point de salut ; orthodoxes et protestants sont des schismatiques ou des hérétiques, sortis de la bergerie dont Jésus lui a confié la garde, et qu’elle entoure d’une épaisse barrière de dogmes. Dispensatrice des grâces divines, canal unique de la vérité, elle s’efforce, depuis des siècles, d’asservir et les corps et les cerveaux. « Dieu, en nous imposant le joug de la servitude apostolique, déclarait Boniface, nous a établis au-dessus des rois, des empereurs pour arracher, détruire, anéantir, disperser, bâtir et planter en son nom. » Tous les papes ont montré depuis, par leurs actions sinon par leurs paroles, qu’ils aspiraient à dominer souverainement. Et la Ligue apostolique se donne encore pour but, de nos jours, « le retour des nations et des peuples et de l’ordre social tout entier à Dieu et à son Christ par la Sainte Église. » Dépouillé de ses privilèges dans maintes régions, obligé de compter avec de nombreux et puissants adversaires, le clergé catholique n’ose plus, chez nous, afficher devant les laïcs ses prétentions outrecuidantes d’autrefois. Mais, dans les séminaires, on continue d’enseigner aux futurs prêtres que les autorités religieuses l’emportent, en dignité, sur les pouvoirs civils ; et, dès qu’il redevient le maître, dans l’Italie fasciste par exemple, le catholicisme se fait concéder des droits exorbitants. Héritière des traditions absolutistes de l’Empire romain, désireuse d’accroître indéfiniment ses richesses, de maintenir ses ouailles dans la plus stricte obéissance et de jouer un rôle politique de premier plan, la puissance