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d’Afrique ignore. Néanmoins, pour qui réfléchit, le talisman du sauvage s’avère le frère jumeau du scapulaire que porte le pieux fidèle des pays latins.



Lorsque Constantinople devint la capitale d’un grand empire, l’évêque de cette ville, gratifié par l’autorité impériale du titre de patriarche œcuménique, fut investi sur les églises orientales d’une autorité qui rappelait celle que le pape exerçait en Occident. Moins favorisés par les circonstances que leurs collègues de Rome, et peut-être aussi moins ambitieux, les patriarches de Constantinople ne devaient, d’ailleurs, jamais jouer un rôle aussi brillant ; leur suprématie est restée d’ordre plutôt honorifique. Toutefois, les prétentions des papes leur semblèrent, de bonne heure, intolérables, et Photius, au IXe siècle, rejeta les innovations préconisées par Rome. Aussi, les Grecs refusèrent-ils de modifier leur credo et d’admettre que le Saint-Esprit procède, non seulement du Père, mais encore du Fils. Au milieu du XI, le pape et le patriarche s’excommunièrent mutuellement ; dès lors, la séparation entre l’Église latine et l’Église orthodoxe fut complète.

C’est vainement que l’on a tenté, depuis, d’opérer une réconciliation ; même en 1439, lorsque les Turcs menaçaient Byzance, l’accord fut impossible. En 1894, Léon XIII, qui avait écrit une lettre amicale au patriarche, reçut une réponse qui ruinait tous ses espoirs. Après la disparition du tsarisme, en 1917, le Vatican s’imagina que les Russes tourneraient facilement les yeux vers Rome, et ses diplomates cherchèrent à circonvenir le gouvernement soviétique. N’ayant pu rien obtenir et voyant l’incroyance triompher en Russie, les papes ont alors multiplié les anathèmes à l’adresse de ce dernier pays.

À l’instar du catholicisme, l’Église orthodoxe utilise le canal de la hiérarchie pour transmettre aux fidèles l’enseignement religieux et les grâces sacramentelles ; elle se glorifie de procéder d’une succession apostolique régulière et ininterrompue. Si elle accorde l’infaillibilité aux conciles œcuméniques, elle la refuse au patriarche de Constantinople aussi bien qu’au pape. Symbole vivant de l’orthodoxie, le patriarche reçoit de grands honneurs ; par contre, son pouvoir effectif est très limité. Plusieurs églises nationales écartent même toute prétention de sa part à les contrôler. En outre, les conciles reconnus œcuméniques sont au nombre de sept seulement et s’arrêtent à celui de Constantinople. Les Grecs repoussent les dogmes adoptés depuis par les catholiques, ceux du Purgatoire, de l’Immaculée Conception, de l’Infaillibilité pontificale, par exemple. Comme l’Église romaine, ils ont sept sacrements et admettent, au sujet de l’eucharistie, la doctrine de la transsubstantiation.

Les moines sont astreints au célibat ; c’est parmi eux que se recrutent les chefs ecclésiastiques. On oblige, au contraire, les popes ou prêtres séculiers à se marier avant l’ordination du diaconat ; mais on leur interdit de se remarier. La réputation d’ignorance et de vénalité faite aux popes s’avère pleinement justifiée ; de plus, beaucoup sont des ivrognes incorrigibles. À l’abri des hautes murailles de leurs monastères, les moines mènent une vie que le public suppose édifiante, mais que les initiés déclarent scandaleuse. Certains couvents, ceux du Mont Athos en particulier, jouissent d’une renommée mondiale. Nulle femme, nul animal femelle n’y doivent pénétrer ; et les religieux passent leur temps à psalmodier, célébrer des offices, accomplir de petits travaux. Les confidences d’un Grec, resté croyant d’ailleurs, et qui avait longtemps séjourné sur le Mont Athos m’ont appris que bien des femmes acceptent d’endosser l’habit monacal et s’en félicitent, plus tard, tant leurs compagnons masculins se montrent serviables et ga-

lants. Puis la pédérastie est, non seulement tolérée, mais encouragée par les supérieurs : pour leur usage personnel ou pour satisfaire leurs moines, quelques-uns possèdent de véritables harems de jouvenceaux, qu’ils costument en jeunes demoiselles, afin de les rendre plus appétissants. Mon confident avait assisté, en personne, à des scènes où de hauts dignitaires ecclésiastiques se livraient, en compagnie de religieux blasés, à des pratiques anormales sur des garçons impubères. En Grèce, comme chez nous, le mysticisme s’allie sans peine à l’érotisme le plus effréné.

De longues cérémonies liturgiques permettent aux moines de manifester, les jours de fêtes, une dévotion dont l’ardeur édifie les croyants. Archaïque et pompeux, le service divin est célébré dans les langues nationales anciennes, en vieux slavon, par exemple, chez les Russes ; il garde un caractère mystérieux, et la consécration eucharistique, restée un acte d’initiation, demeure cachée aux yeux des profanes. Sans être étayé par des dogmes nouveaux, le culte de la Vierge a pris, chez les orthodoxes comme chez les catholiques, un développement extraordinaire ; les saints pullulent, et les icônes sont l’objet d’une vénération universelle. Le clergé orthodoxe est trop ignorant pour qu’un mouvement moderniste sérieux ait pu le secouer, à notre époque. Concernant le pouvoir civil, il fait preuve d’une bassesse d’âme et d’une soumission répugnantes ; dans leurs États, les souverains balkaniques sont les vrais chefs de la religion ; le tsar gouvernait l’Église russe avant-guerre, par le moyen du Saint-Synode. Toutefois, les orthodoxes, bien différents en cela des catholiques, n’affichent pas un mépris transcendant à l’égard des hérétiques. L’union des Églises étant de nos jours une idée à la mode dans les pays anglo-saxons, ils s’associent volontiers aux manifestations internationales organisées par les protestants et les anglicans. Considérée comme un élément d’unité nationale, la religion orthodoxe reste forte de l’appui des gouvernements, dans les pays balkaniques. Cependant les rapides progrès que l’athéisme fait en Russie démontrent que les Églises orientales sont des institutions périmées, destinées à disparaître dans un avenir plus ou moins lointain.


L’ambition sans frein des papes, la corruption des dignitaires ecclésiastiques, la tyrannie exercée par les moines et les prêtres furent les causes profondes qui favorisèrent le développement du protestantisme, au XVIe siècle. Une querelle théologique entre l’augustin Martin Luther et le dominicain Tetzel, concernant la vente des indulgences, fut l’étincelle qui alluma l’incendie, en 1517. Ayant pu échapper à la prison et au bûcher, grâce à des protecteurs puissants, Martin Luther rompit définitivement avec le pape, et organisa une Église dont la doctrine fut précisée dans la Confession d’Augsbourg. En peu de temps, il se vit entouré de partisans nombreux ; des princes et des prélats se déclarèrent pour lui. Conservateur dans l’ordre politique et social, Luther combattit sans pitié les réformateurs anabaptistes qui troublaient la quiétude des possédants et réclamaient la communauté des biens. À côté de lui, il faut faire une place à Mélanchton, un érudit que son tempérament personnel inclinait vers la conciliation.

À Genève, se dressa l’austère figure de Calvin ; pape et roi tout ensemble, ce théologien alla beaucoup plus loin que Luther, supprima toute pompe cultuelle et ne ménagea pas les grands. Il voulait régner en maître ; et, pour l’avoir contredit, Michel Servet fut brûlé vif. Nous devrions encore parler de Zwingle, de Guillaume Farel, de John Knox et de beaucoup d’autres réformateurs et fondateurs de sectes, ainsi que de Frédéric II de Norvège, du Suédois Gustave Wasa et des divers souverains qui, au XVIe siècle, modifièrent la religion de leurs peuples, si nous entreprenions de retracer l’histoire du protestantisme. Nous voulons seulement indi-