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macabre de Bâle. Dans beaucoup d’autres pays encore, l’art italien trouva des imitateurs ; mais, par manque d’originalité et d’indépendance intellectuelle, ces derniers ne firent pas toujours œuvre féconde et utile. Trop souvent, ils oublièrent qu’en matière de beauté, comme de savoir, le génie requiert impérieusement la liberté. — L. Barbedette.

RENAISSANCE (Poésie). — La période de la Renaissance qui mérite une mention à part (voir au mot Poésie) doit être considérée comme une période de transition qui, après le Moyen Âge, prépare l’officiel XVIIe siècle où s’abreuvent les amateurs du pur classicisme. Peu d’époques ont été aussi fécondes que celle du XVIe. Les guerres d’Italie, l’essor soudain des arts et de la littérature renouvelés par l’étude des anciens lui donnent un caractère nouveau.

Nous voilà assez loin des « chansons de geste », des fabliaux, d’Alain Chartier et de Villon. Les farces, moralités, soties, mystères vont faire place à la tragédie et à la comédie. La satire et l’élégie réclament leurs droits. Pierre Gringoire, d’illustre et romantique mémoire, est quelque peu démodé, encore qu’appartenant à la première moitié du siècle. Et voici Marot qui fait son apparition.

Clément Marot prodigue les ballades et les rondeaux, sans rompre complètement la tradition du passé. On lui doit aussi des églogues, des épîtres, des satires dont Boileau ne manquera pas de s’inspirer. Il a gardé l’esprit alerte, vif, enjoué de ses devanciers et il laisse prévoir La Fontaine comme Voltaire, l’un par les fables, l’autre par les épigrammes.

C’est le début de la Renaissance, et Clément Marot est incontestablement le maître. Il faut citer, autour de lui, parmi ceux qui le précédèrent et ceux qui le suivirent, Jean Bouchet, Jean Marot, Claude Chappuis, Charles Fontaine, Corrozet (qui traduit Ésope), François Hubert, Victor Brodeau, Bonaventure des Périers (célèbre surtout comme conteur), Louise Labé, etc.

Mais il faut arriver à Ronsard pour voir s’épanouir la Renaissance. C’est alors le triomphe de l’Antiquité. Joachim du Bellay va lancer sa fameuse Deffense et illustration de la Langue françoyse où, pour la première fois, le mot « patriote » est employé ! Les novateurs prétendent rejeter les vieilles gauloiseries des aïeux, plus ou moins épuisées, en même temps que les mystères, dont on avait tant abusé ; Ronsard publie ses premières Odes. Une mêlée s’engage, comme elle s’engagera quelques siècles plus tard entre classiques et romantiques. Mais l’école nouvelle aura le dessus. Les amis de Ronsard se groupent dans la Pléiade. Ils ont nom : Jean Dorat, Du Bellay, Jodelle, De Baïf, Rémi Bellau, Pontus de Thyard. Autour de ces chefs d’école, combattent les Jamys, les Olivoi de Magny, les Thaureau, les Jean de la Taille, les Grévin, les Larivey, etc…

Quand Ronsard disparaîtra, vieilli et chargé de gloire, la poésie sera complètement renouvelée. Une nouvelle génération est née avec Vauquelin de la Fresnaye, Du Bartas, Desportes, Bertaud, D’Aubigné, Régnier. Mais tous s’éloignent plus ou moins du maître.

Pierre de Ronsard, qui domine son époque, a le mérite d’avoir régénéré la poésie française en puisant dans l’Antiquité, et le défaut d’avoir quelque peu troublé les sources de la vieille tradition gauloise. On lui doit quatre volumes des Odes, le Bocage royal, les Hymnes, les Élégies, Mascarades et Bergeries, etc… Sa renommée franchit les frontières. Son influence est formidable. Il ne lui a manqué qu’un peu de mesure, peut-être. Mais la poésie lui doit beaucoup. Il a innové dans bien des genres, créé des rythmes inédits. Il a surtout consacré l’alexandrin dont ses descendants useront et abuseront. Quoi qu’on puisse dire, et en dépit de la réaction qui s’est produite contre lui, Ronsard demeure un de nos plus grands poètes, et, par dessus

les siècles écoulés, exerce encore une irrésistible attraction.

Un autre grand poète de cette époque inouïe, c’est Mathurin Régnier, le satiriste, féru de Juvénal et d’Horace, dont on a pu dire qu’il annonçait Molière.

La Renaissance, en définitive, a trois sommets : Marot, Ronsard, Régnier. Chose curieuse, l’enjambement pratiqué par Marot est rejeté par Ronsard, puis repris. Il règnera, de nouveau, à l’heure du romantisme. Mais le XVII s’ouvre, et Malherbe, le terrible Malherbe, « vient », qui s’avise de mettre un peu d’ordre, supprime les rimes qu’il juge trop faciles, combat les métaphores et allégories trop excessives, fait une règle impitoyable de la césure. La poésie y gagne, sans doute, en discipline ; elle y perd en pittoresque, et c’est l’ennui morne qui, malgré l’abondance des génies officiels, va régner pour des années. — V. M.


RENÉGAT n. m. (de l’italien rinegatto, du latin re, préfixe, et de negare). Nom injurieux donné par les chrétiens à ceux qui, renonçant à la religion du Christ, en ont embrassé une autre. Par ext. : personne qui abjure ses opinions ou trahit son passé. Syn. : Apostat (Dict. Larousse).

Celui qui abjure ses opinions ou trahit son passé est justement qualité de renégat.

Cette flétrissure ne doit pas être appliquée à celui qui, imbu de croyances inculquées dès son enfance, réussit à s’en affranchir, à force de clairvoyance, d’esprit critique, d’intelligence et de courage. Par l’observation, la réflexion, l’étude, il parvient à découvrir des parcelles de vérité qu’il substitue aux préjugés, aux mensonges dont son entourage, sa famille, son éducation première avaient empli et empoisonné son cerveau. Celui-là est un être indépendant, de caractère fort, qui s’émancipe et marche hardiment vers la lumière, vers le vrai qu’il apprécie et qu’il constate. Il n’est ni renégat, ni apostat : il est l’individu d’esprit droit qui s’éclaire pour évoluer par la science et le libre examen. Il évolue, il se transforme selon la loi naturelle qui fait de l’homme un être pensant par lui-même, sachant voir, entendre, réfléchir et comprendre. De tels individus se rencontrent pourtant et, s’ils sont sincères avec eux-mêmes et avec leurs semblables, ce ne sont pas ceux-là qui seront des renégats ni des apostats.

Le renégat renie ses croyances, son passé, non par raison, mais par intérêt ; non par sincérité, mais par lâcheté ; non par honnêteté, mais par ambition, vanité.

Le renégat c’est l’arriviste, le flatteur des puissants, l’hypocrite qui, la main sur le cœur, exprime sur toutes choses et en toutes occasions de faux sentiments. Il fait étalage de vertus qu’il n’a pas pour masquer les vices qu’il a. Le renégat est donc facile à reconnaître. Il feint d’ignorer le mépris dont il est l’objet et se prétend l’apôtre de la tolérance pour tous, pensant ainsi atténuer l’effet choquant de son attitude et provoquer l’oubli ou l’indulgence de ceux qui l’ont connu tout autre. Mais le renégat trouve des adulateurs, des partisans et même des amis, s’il est prospère en ses palinodies et si sa fréquentation parait avantageuse aux créatures peu fières qui sollicitent ses bienfaits.

On rencontre donc des renégats partout et surtout où il y a de l’avenir. Aussi, la politique a-t-elle son contingent de renégats.

Combien d’hommes connus sont devenus d’importants personnages en reniant d’abord tout leur passé ? Combien ont affiché bruyamment des idées révolutionnaires, pour devenir les pires réactionnaires, traîtres à leurs idées, traîtres à leurs amis capables de tout pour complaire à ceux auxquels ils se sont vendus pour on ne sait jamais combien ? Le braconnier devient garde-chasse. Le théoricien de la liberté devient le traître qui la poignarde et, après avoir provoqué l’émeute sauve la société en danger en passant de l’autre côté de la