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l’inaccessible, le sentiment avec la raison, l’érudition. avec le savoir, la négation avec le raisonnement, j’aurais borné là ma conclusion. Elle me paraîtrait, en d’autres temps, parfaitement suffisante. Mais nous vivons dans des conditions tellement extraordinaires ; les passions et l’incompréhension sont si grandes, le sens donné aux mêmes expressions et systèmes, si différent, qu’il me semble nécessaire de motiver cette conclusion, de la renforcer, si possible, de lui donner, sa plus grande puissance de persuasion.

Quand la peur des mots, la paresse de l’effort d’induction et de déduction sont si considérables qu’elles conduisent des hommes qui ont l’habitude du mouvement des idées, à nier des choses aussi évidentes que : la nécessité de défendre par les armes une révolution, l’existence de la période transitoire, l’indispensabilité de l’instrument d’échange et la valeur de la responsabilité collective, on ne saurait être trop précis et avoir peur de chasser l’erreur de ses derniers retranchements.

Je veux prouver ici, à ceux qui nient la valeur, l’existence même, de la responsabilité collective, — qui sont, d’ailleurs les mêmes que ceux qui n’admettent pas la période transitoire parce qu’elle les effraye ; qui se refusent à défendre la révolution par tous les moyens armés, parce qu’ils sont les adversaires des forces collectives armées ; qui se refusent à accepter l’instrument d’échange, parce qu’ils sont partisans de je ne sais quelle prise au tas — qu’ils doivent capituler devant la raison, jeter le masque de la paresse et de l’incompréhension ou cesser de s’affirmer révolutionnaires. Qui peut admettre, à notre époque, alors que de formidables collectivités d’intérêts se heurtent à travers le monde ; que de leurs chocs terribles résultent à tout instant des bouleversements énormes dans tous les domaines, bouleversements qui modifient parfois en un seul jour le sort de toute une industrie et celui des millions d’hommes qu’elle occupe ; que, d’un moment à l’autre, de leur heurt, sur tel ou tel point du globe, la guerre peut éclater ; que des réactions inévitables qu’elles provoquent chez le prolétariat, et du poids de leurs fautes, peut surgir une révolution d’ordre continental, oui, qui peut admettre que la responsabilité est exclusivement, strictement d’ordre individuel ?

Est-ce que tout ne prouve pas, au contraire, avec la plus évidente clarté, que dans ces chocs titaniques ce sont des collectivités volontairement disciplinées, n’ayant qu’une seule pensée, qu’un seul but, qui s’affronteront jusqu’à la destruction de leurs rivales ? Est-ce que le capitalisme tolère que l’une de ses forces rompe sa solidarité avec l’ensemble ? Est-ce que ceux de ses membres qui veulent passer outre aux décisions arrêtées ne sont pas immédiatement brisés, écrasés ? Est-ce que chez nos adversaires l’action de l’un d’eux n’est pas examinée par tous et jugée suivant sa valeur Est-ce qu’ils tolèrent des initiatives qui engageraient la responsabilité de l’ensemble et contrarieraient son succès ? Est-ce que, chez eux, chacun n’est pas responsable devant tous ? Et l’on voudrait que dans les tragiques circonstances actuelles, alors que la révolution frappe partout à la porte des peuples, apportant avec elle le message de l’avenir, nous en restions à cette conception étriquée du « chacun pour soi », responsable devant soi ; du « franc-tireur » romantique, empanaché, gai luron et sans cervelle.

Ces temps-là sont révolus ! Celui de l’organisation, méthodique et souple à la fois, possédant le maximum de force de contraction et de détente, agissant par tous ses éléments, en pleine cohésion, est venu. La victoire sera d’autant plus rapide et plus complète que les actes seront plus mûrement délibérés, plus sûrement accomplis, plus grandement exploités, mieux ordonnés et contrôlés. Est-ce que par hasard tout cela serait incompatible avec le communisme libertaire à bases fédéralistes ? Alors, qu’on nous le dise !

Pour ma part, je dis : non. C’est, au contraire, le fédéralisme libertaire en action, en pratique.

Liés, soudés, cimentés par le sentiment de la responsabilité collective, exerçant leur liberté dans le cadre qu’ils auront eux-mêmes tracé ; attachés à ne rien faire qui puisse faire échouer leur entreprise, les hommes qui seront imbus de cet esprit de sacrifice vaincront. Les autres, ceux qui se croiront le droit d’agir à leur guise, de violer les accords conclus ; d’accomplir quand ils le veulent, et comme ils le veulent, tel ou tel acte, sans se soucier de ses conséquences, seront vaincus et feront le lit de la dictature. Et, si par un hasard heureux, ils triomphaient, on peut assurer que sous une forme ou sous une autre, ils exerceraient eux-mêmes cette dictature.

Il faut, à tout prix, que ces deux choses — aussi mauvaises l’une que l’autre — soient évitées au prolétariat. Et celui-ci ne le peut, qu’en acceptant avec la conception de l’organisation, son corollaire inévitable : le principe de la responsabilité collective. Il a le devoir d’intégrer ce principe dans le corps de doctrine du communisme libertaire.

L’évolution des sociétés, dont la marche a été si précipitée depuis vingt ans, justifie et impose cette intégration. Il s’agit de l’appliquer sans attendre davantage. Le succès est à ce prix.

Une pensée neuve, a dit Boileau, « ce n’est point, comme se le persuadent les ignorants, une pensée que personne n’a jamais eue ni dû avoir, c’est, au contraire, une pensée qui a dû venir à tout le monde et que quelqu’un s’avise d’exprimer le premier ».

Je ne me flatte pas d’avoir, le premier, exprimé l’idée de la responsabilité collective, mais il est certain qu’elle préoccupe de nombreux esprits et qu’elle ne peut être niée. — P. Besnard.


REVANCHE n. f. (Étymologie re et venger. Action de rendre la pareille pour le mal qu’on a reçu (Littré). C’est le sens le plus courant du mot. (Signalons qu’on l’emploie quelquefois en bonne part pour reconnaissance ; et que, dans le jeu, il signifie la partie que joue le perdant pour se racheter. L’expression en revanche signifie : en compensation.) Le mot revanche est donc synonyme de vengeance. Duclos disait : « La vengeance n’est plus qu’une revanche ; on la prend comme un moyen de réussir, et pour l’avantage qui en résulte. » L’avantage qui en résulte, c’est d’abord de satisfaire l’instinct de violence (bébé est content lorsqu’on feint de battre la chaise contre laquelle il s’est cogné) ; c’est ensuite d’humilier autrui et, parfois, de profiter de l’occasion pour s’emparer de ses dépouilles ; c’est réussir, c’est s’imposer, c’est dominer. Le sentiment de revanche, ainsi compris, procède du pur esprit archiste ; il est toujours condamnable.

Il semble que, d’ordinaire, on considère la revanche (vengeance) comme la façon normale et juste de régler les dommages. « Tu as brisé ma toupie, dit l’enfant, hé bien, je casse une patte à ton cheval mécanique. » « Vous avez tué, on vous tuera », dit le Code. La revanche n’était-elle pas la loi de Dieu ?

« Celui qui frappera un homme mortellement sera puni de mort. Celui qui frappera un animal mortellement le remplacera : vie pour vie. Si quelqu’un blesse son prochain, il lui sera fait comme il a fait : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent ; il lui sera fait la même blessure qu’il a faite à son prochain. Celui qui tuera un animal le remplacera, mais celui qui tuera un homme sera puni de mort. » (Lévitique, XXIV, 17-21.)

« Au jour de la vengeance, je visiterai et punirai ce péché qu’ils ont commis. » (Exode, XXXII, 34.)

Dieu ne s’était pas encore élevé jusqu’au pardon des offenses. Combien sont rares, encore aujourd’hui, ceux qui, à une injure, ne sont pas tentés de répondre par une injure, à un coup de poing par un coup de poing,