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La tempête qui, de 1789 à 1793, a renversé, en France, la monarchie, détruit les privilèges de la noblesse et du clergé, et permis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen représente bien une révolution. La multiplication des grèves corporatives et des meetings, durant une période troublée de la république bourgeoise, n’en constitue certainement pas une.

Si nous recherchons quels sont, dans l’histoire, les événements qui ont présidé à l’accomplissement des révolutions, nous découvrirons qu’il s’agit de faits se présentant d’une manière à peu près identique : des philosophes et des hommes d’action isolés ont conçu ce que pourraient être une constitution politique ou un ordre social plus justes que ceux qui existent. La grande masse du peuple demeure indifférente à l’exposé de leurs doctrines, qu’elle juge utopiques, jusqu’au jour où, surexcitée par l’extrême misère, ou l’invasion, les humiliations d’une défaite, elle perd confiance dans le gouvernement qu’elle honorait la veille, et s’insurge contre lui, non seulement par désir de vengeance, mais aussi dans l’espoir d’obtenir à son sort des améliorations, avec l’établissement d’un régime nouveau.

Si les insurgés possèdent, dans leurs rangs, des hommes de volonté tenace, de conscience droite et de culture suffisante ; si l’armée – ou, du moins, la plus grande partie de l’armée – fait avec eux cause commune, ils ont toutes chances de renverser le pouvoir. Dans le cas contraire, avec des effectifs et un armement inférieurs, des directives à peu près nulles, leur mouvement est condamné à périr à très bref délai, sous les coups d’une barbare répression. Que la victoire soit à eux, par suite de la capitulation ou de l’exode des classes dirigeantes, et la tâche n’est point pour cela terminée. Attaqués de toutes parts : à l’extérieur par les armées des nations demeurées fidèles aux règles du passé, à l’intérieur par les menées secrètes et l’espionnage de la contre-révolution, les insurgés victorieux, mais non pour cela à l’abri de tout péril, sont contraints, sous peine d’être les victimes de la terreur blanche, de prendre, sans défaillance, toutes les mesures défensives justifiées par la nécessité, de tenir en respect tous les ennemis, cependant que se réorganise, sur d’autres bases, la société.

En somme, s’inspirant des observations les plus récentes, on peut dire que toute révolution suppose trois phases pour être un fait accompli : 1° Une période préparatoire, durant laquelle nombre d’esprits sont séduits par des doctrines nouvelles, et la révolte collective s’annonce par des mécontentements de plus en plus nombreux ; 2° Une période insurrectionnelle, durant laquelle des combats sont livrés entre les forces révolutionnaires armées et les troupes affectées à la défense de l’ordre établi ; 3° Une période consacrée à la défense des conquêtes de la révolution et à l’instauration de l’ordre nouveau lorsque, le pouvoir ayant été renversé par l’insurrection triomphante, il s’agit de conserver des positions chèrement acquises, et de réorganiser la production, la consommation, les transports, et les multiples services d’utilité publique durement éprouvés par la guerre civile.

Dans l’histoire contemporaine, deux bouleversements requièrent surtout notre attention : la Révolution française de 1789, et la Révolution russe de 1917. L’une et l’autre présentent des phases en conformité de la règle établie ci-dessus. La Révolution française est préparée par les écrits des Encyclopédistes, le mécontentement grandissant du peuple et de la bourgeoisie. Elle éclate alors que se trouve porté à son comble le scandale du dérèglement de la noblesse, contrastant avec la misère du peuple. La royauté abolie, la révolution doit faire face à l’Europe aristocratique coalisée, et prendre des mesures répressives contre les tentatives révolutionnaires des chouans. La Révolution russe est préparée, pendant plus d’un demi-siècle, par des écrivains per-

sécutés et des terroristes. Elle éclate par suite des souffrances et de la famine, que complètent les horreurs de l’invasion, et les deuils de la grande guerre. Le pouvoir impérial renversé, presque sans lutte, grâce à la fraternisation du peuple et d’une grande partie de l’armée, les batailles les plus dures s’organisent à l’occasion des rivalités politiques, et des compétitions économiques. Menacé de sabotage et de destruction, à l’intérieur, par les menées des russes blancs, l’État socialiste est attaqué sur tous les fronts, sans déclaration de guerre, par les nations capitalistes, et soumis à un blocus ouvrier.

Ce n’est donc que, lorsque tous ses objectifs sociaux ayant été atteints, la sécurité se trouve, par surcroît, assurée désormais, à l’intérieur et à l’extérieur, qu’il est possible de prétendre qu’une révolution est complètement victorieuse. C’est dire que, pour qu’une révolution coïncidât, sans risques de mort, dès la chute du pouvoir établi, avec le licenciement des troupes, et l’abolition de toute contrainte, comme de toute surveillance, à l’égard des citoyens, il faudrait de toute nécessité qu’elle fût, non seulement universelle, c’est-à-dire réalisée en tous pays, dans le même temps, mais encore suffisamment avantagée par les circonstances de la vie économique et de l’éducation sociale, pour qu’aucun motif de compétition grave ne pût être à redouter, par la suite, entre les hommes. — Jean Marestan.

RÉVOLUTION. Bouleversement profond d’un pays tendant à remplacer un régime par un autre.

Il y a différentes sortes de révolutions, de la révolution de palais à la révolution sociale. La révolution de palais s’observait surtout autrefois dans les pays barbares. Le monarque était assassiné par une conjuration et remplacé par un autre. De nos jours, le Mexique a été troublé par des révolutions assez fréquentes de cet ordre. La révolution de palais et le pronunciamiento, chose à peu près analogue, affectent peu le pays, Tout se passe entre les dirigeants et leurs armées, qui sont des armées de métier, c’est-à-dire des bandes d’assassins à gages prêts à toutes les besognes au service de qui les paye.

Plus large est la révolution politique, par exemple la grande Révolution française. C’est à tort qu’on a distingué la révolution politique et la révolution sociale. Toute révolution, les révolutions de palais mises à part, comporte un facteur économique. Le peuple ne marcherait pas si une déficience économique ne l’y poussait pas. Un peuple qui mange à sa faim ne fait pas de révolution, du moins généralement, car il ne faut pas oublier le boulangisme qui a presque été une révolution et qui était un mouvement purement idéologique, où il y avait du patriotisme, du désir de revanche, de la colère à propos de scandales (affaire Wilson), etc…

Jamais, ni les socialistes, ni les anarchistes ne sont parvenus à susciter dans le peuple un mouvement pareil. Les socialistes ont enseigné que la révolution venait toute seule, lorsque les circonstances économiques la commandaient. C’était pour ne pas avoir à la préparer. On peut dire que la plupart des chers socialistes ont été sinon des traîtres au sens exact, du moins des profiteurs. C’est une profession que d’être un chef socialiste. Elle comporte des aléas : on peut aller en prison, mais on peut aussi devenir ministre. Le prolétariat a ainsi des avocats professionnels qui défendent sa cause, et de même qu’un avocat, même habile, ne croit pas nécessairement ce qu’il dit, de même un leader d’extrême gauche peut défendre fort bien l’intérêt des ouvriers et y être tout à fait indifférent, au fond de lui-même.

Il en va autrement des théoriciens, de ceux qui ont institué et formulé la doctrine, comme Karl Marx,