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et de rien ; ils entendent, en outre, l’accaparer à leur exclusif profit et en interdire l’emploi à tous autres. C’est comme une firme qui leur appartiendrait, comme un brevet d’invention, une marque de fabrique ou une raison sociale déposée que, seuls, ils auraient le droit d’exploiter : la Révolution est à eux, toute à eux, rien qu’à eux. Et pourtant !… Le pire est que d’assez nombreux prolétaires, à l’esprit simpliste et totalement ignorants du problème social, se laissent prendre au mirage de cette mystique grossière que les dictateurs et les roublards du parti communiste ont élevée à la hauteur d’une religion.

Ainsi : royalistes, républicains, démocrates, socialistes, communistes, les gens de toutes opinions et les partis politiques de toutes nuances trafiquent impudemment le mot « révolution », dans lequel ils incorporent des idées non seulement très différentes, mais encore contradictoires. L’ensemble d’idées et de faits que devrait signifier de nos jours le mot « révolution », et qu’il devrait sembler impossible de détacher de ce mot, s’en est, comme on le constate, plus que sensiblement éloigné.

Révolution ? — Pour les gens du Roy, c’est l’estourbissement de la Gueuse et le retour à la monarchie. Quelle absurdité !…

Révolution ? — C’est, pour les radicaux et les partis de gauche démocratique, l’ensemble disparate, incohérent et inefficace des mesures de détail et des modifications de surface qu’impliquent, dans le domaine juridique, fiscal, militaire, diplomatique ou scolaire, des abus par trop révoltants et des pratiques par trop scandaleuses. Quelle sottise !

Révolution ? — Pour le parti socialiste, c’est, au prix de l’abandon du programme socialiste et au mépris des doctrines propagées par les penseurs et théoriciens socialistes eux-mêmes, la montée vers le gouvernement d’une équipe de conseillers d’État, avocats, journalistes, universitaires, médecins, vétérinaires et ex travailleurs, dans l’estomac de qui l’exemple des Mac Donald, Ebert, Noske, Scheidemann, Vandervelde, Branting, Guesde, Sembat, Albert Thomas, etc., a porté jusqu’à ses limites extrêmes la fringale du pouvoir. Quelle trahison !…

Révolution ? — Pour le parti communiste, c’est, sous des masques nouveaux et sous des formes inédites, la continuation, plutôt aggravée, de ce qui est : l’État tyran, le bureaucratisme rongeur, la police et l’armée sanguinaires, les classes antagoniques, la hiérarchie scandaleuse des traitements et salaires, la prostitution et la mendicité, la répression, le marchandage, le brigandage légal et l’assassinat ; enfin, pour couronner dignement le tout : l’accord diplomatique, financier, industriel et commercial, et, pour tout dire, l’entente gouvernementale officielle – entente cordiale, persistante et de jour en jour plus étroite – entre l’État dit « paysan et ouvrier » et les États bourgeois, entre le prolétariat dit : « communiste » et les États capitalistes. Quelle infamie !…

Révolution ? Les ambitieux, les intrigants, les bateleurs de la politique et leurs laquais ont fait de ce mot un vocable qui ne signifie plus rien, voué aux interprétations les plus diverses et les plus opposées, dont ne s’effraient pas plus les dirigeants que ne s’enthousiasment les dirigés.

Seuls, les anarchistes – parce que, seuls, ils sont révolutionnaires – ont conservé au mot « révolution » et à l’idée fondamentale que, dans le temps et le lieu où nous sommes, il exprime, sa signification haute, pure, large, profonde, inaltérable. Salie, déshonorée, odieusement galvaudée, l’idée de révolution sociale doit être purifiée, réhabilitée et remise en pleine lumière. C’est à quoi tend, dans cette Encyclopédie, cette étude qui est consacrée à la Révolution sociale.


Ce que sera la Révolution sociale. — Revenons main-

tenant au sens exact du mot « révolution » et à la portée positive de l’idée qu’il exprime par rapport au milieu social contemporain : économiquement capitaliste, politiquement autoritaire. J’ai dit plus haut ce que, il y a quelque quarante il cinquante ans, on entendait par « la révolution sociale », En dépit des multiples altérations, dont j’ai cité les principales et qui sont imputables surtout aux pseudo révolutionnaires de la social-démocratie et du parti communiste, l’ensemble des faits sociaux qui se trouvent inclus et réunis dans l’idée de révolution est resté le même, et qui, peu ou prou, s’en éloigne, devient, ipso facto et quoi qu’il s’en défende, tout ce qu’on voudra, mais cesse d’être un révolutionnaire.

Il est possible de glisser dans les institutions actuelles quelques modifications de détail ; on peut même multiplier ces changements et les pousser jusqu’à l’extrême limite, ces institutions sont, quant au fond, inaméliorables ; elles engendrent inévitablement, c’est-à-dire tant qu’elles seront maintenues et sans qu’une mesure quelconque puisse écarter ce résultat fatal (fatal parce qu’il leur est inhérent] : la misère et la servitude, d’une part, l’opulence et la répression, de l’autre. On peut introduire dans le mécanisme économique, qui caractérise l’époque capitaliste que nous traversons, toutes les modifications possibles et imaginables ; aussi longtemps que le principe même qui actionne ce mécanisme sera maintenu, les inégalités et les conflits se perpétueront. C’est en vain que l’État se substituera, comme propriétaire et patron, aux patrons et aux propriétaires actuels, la gérance du premier aboutira aux mêmes conséquences que celle des seconds : faveurs et profits renaîtront inéluctablement sous des espèces et apparences nouvelles et amèneront fatalement le retour à l’existence des deux classes en lutte : celle des employeurs privilégiés, et celle des employés déshérités.

Il en est de même du mécanisme politique qui caractérise le régime d’autorité que nous subissons. On peut y faire pénétrer tous les changements que concevront l’homme d’État le plus subtil et le réformateur le plus sagace, rien, absolument rien, n’enlèvera à cette institution malfaisante – l’État – son caractère essentiel, son trait fondamental qui, dans la pratique, est de légiférer, de réglementer, d’imposer, d’interdire, de prohiber et de châtier quiconque ose entrer en lutte contre lui. Et comme, pour faire respecter la loi et observer la réglementation imposée, l’État est dans l’obligation de sévir contre les individus réfractaires ; comme, pour soumettre et faire rentrer dans l’ordre les collectivités qui s’insurgent, l’État est dans la nécessité de recourir à la force publique, il est indispensable que l’État, quel qu’il soit et puisse être, ait à sa disposition magistrats, policiers, gendarmes, soldats, gardiens de prison, fonctionnaires et employés de toutes sortes, attachés au fonctionnement de l’appareil administratif, judiciaire et répressif. C’est donc, fatalement encore, sous des espèces et des apparences nouvelles, la survivance des deux classes en opposition : celle des maîtres qui commandent et celle des sujets qui obéissent.

En conséquence, prise dans son ensemble et sans restriction ; je veux dire : envisagée dans sa plénitude réelle, dans sa totalité positive, la lutte des classes, dans ses rapports avec la Révolution sociale, ne comprend pas seulement la lutte de la classe économiquement exploitée par la classe capitaliste, mais encore la lutte de la classe politiquement asservie, dominée par la classe gouvernante. Sous peine d’être mutilée et, partant, stérile, la lutte des classes, ainsi comprise – et c’est ainsi que nous la révèle une observation attentive, minutieuse, impartiale et complète –, a pour conséquence de dresser ceux qui sont exploités et opprimés contre ceux qui les exploitent et les dominent ; elle doit être à la fois politique et économique. Ils se trompent lourdement ceux