Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/417

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REV
2383

« Et, pour finir, les libertaires disent aux partisans des régimes d’autorité : il y a entre vous et nous un abîme, non seulement en ce qui concerne la préparation et la réalisation de la révolution sociale, mais encore l’organisation de la vie individuelle et collective, au lendemain de cette révolution. Vous voulez, la révolution faite, tout imposer par la contrainte ; nous voulons tout demander à la bonne volonté et à la raison ; vous ne croyez qu’à la force, nous n’avons confiance qu’en l’entente. Vous concevez l’ordre par en haut, nous le concevons par en bas. Vous entendez que tout soit centralisé, nous voulons que tout soit fédéralisé. Votre méthode consiste à aller du composé au simple, du général au particulier, du nombre à l’unité, du tout à la partie, c’est-à-dire de la société à l’individu ; nous appliquons, nous, la méthode opposée : nous partons du simple pour aller au composé ; nous allons du particulier au général, de l’unité au nombre, de la partie au tout, c’est-à-dire de l’individu, seule réalité tangible, vivante, palpable, à la société, total des individus. Vous fondez la liberté commune sur l’asservissement de chacun ; nous fondons la liberté collective sur l’indépendance de chacun. Quand nous serons en mesure de renverser la société bourgeoise, nous détruirons du même coup le capital et l’État. Ce ne sera pas besogne plus difficile que de culbuter l’un et pas l’autre, puisqu’ils se tiennent, sont solidaires et ne forment présentement qu’un seul et même bloc, l’État n’étant, en fait, que l’expression politique de la dictature des puissances d’argent, dont le capitalisme exprime la dictature économique.

« Et, puisque vous reconnaissez que la liberté est désirable, que le communisme libertaire est l’idéal le plus noble et le plus équitable, le meilleur et le plus sûr moyen de réaliser cet idéal, c’est de combattre et de ruiner, et non de consolider et de renforcer, le principe d’autorité qui en est la négation. »


Aucun parti politique n’est révolutionnaire. — On peut reprocher à cette citation sa longueur. Elle est longue, en effet ; mais j’ai tenu à n’en rien retrancher, afin de lui conserver sa netteté, sa précision et sa force. Elle a, au surplus, le grand avantage de conduire le lecteur à une conclusion qui s’impose et qui, sans cette citation, pourrait paraitre inexacte. Cette conclusion, la voici :

Étant donné que tous les partis politiques, sans aucune exception, ont pour but non pas de briser le pouvoir, mais de l’arracher – légalement ou illégalement, pacifiquement ou par la violence – à ceux qui le détiennent, afin de l’exercer à leur tour, on peut et, logiquement, on doit affirmer qu’aucun parti politique n’est, à proprement parler, révolutionnaire et que, quels qu’ils soient, tous les partis politiques, absolument tous, sont contre-révolutionnaires, puisque tous sont opposés à une révolution qui ferait table rase de toutes les institutions procédant d’un pouvoir central ou dont la fonction serait une survivance, même affaiblie, du principe d’autorité, si un parti politique a l’impudence de se qualifier de révolutionnaire, c’est donc une flagrante imposture.

Seuls, les anarchistes déclarent que, sans un bouleversement social détruisant jusque dans leurs racines le capitalisme et l’État, c’est-à-dire l’autorité sur les personnes ; la propriété et l’autorité sur les personnes, le gouvernement, il n’y a pas, il ne saurait y avoir de révolution véritable. Seuls, ils enseignent, loyalement et sans peur, cette vérité capitale ; et c’est pourquoi, d’un bout du monde à l’autre bout, ils sont combattus et persécutés avec l’acharnement que l’on sait, par tous les gouvernements existants et par tous les partis qui ambitionnent de s’emparer de l’État. Le verbalisme dont se sert un parti politique et les moyens qu’il emploie ou conseille n’ont, en soi, aucune signification consistante et positive ; le but qu’il se propose,

même quand il le passe sous silence, importe seul. Le prêtre réactionnaire peut utiliser la terminologie la plus violente et la plus subversive ; ce verbiage ne l’empêche pas de demeurer réactionnaire. César peut dissimuler son despotisme sous le magnifique manteau de l’ordre, de la paix et de la liberté ; il n’en reste pas moins César. Un parti de dictature peut exalter l’usage des méthodes révolutionnaires pour conquérir le pouvoir ; il n’en est pas moins un parti de dictature et, par conséquent, de despotisme et de contre-révolution. Le langage employé et les moyens d’action utilisés ou préconisés ne sont souvent que des fictions ; le but poursuivi est la seule réalité qui compte. Il y a des siècles, en voulant exprimer cette opinion, le poète latin s’est écrié : « Sunt verba et voces ; prœtereaque nihil ! » ( « Ce sont des mots, des paroles et rien de plus ! » ) Cette citation s’applique avec une sévère et rigoureuse exactitude, aux déclamations socialistes et communistes, qui dénaturent le sens actuel du mot « Révolution » et mentent à l’idée fondamentale que ce mot exprime de nos jours.

Cette idée est que, à l’heure qui sonne au cadran de l’Histoire, dans les pays où le capitalisme et l’État en sont arrivés au stade actuel de leur course évolutive, il n’y a de révolution véritable, au sens exact et complet de ce mot, que lorsqu’il y a bouleversement de fond en comble, lorsqu’il est fait table rase des principes en cours et de leurs applications, lorsqu’on adopte un point de départ tout à fait nouveau, lorsqu’on opère sur une base et une pratique non seulement différente, mais encore diamétralement opposée. Or, j’ai démontré de la façon la plus irréfragable (voir le mot Anarchie) que la structure sociale repose tout entière sur le principe d’autorité et sur les institutions qui en découlent. L’idée de révolution sociale comporte donc nécessairement : 1° l’abandon total, l’effondrement définitif de toute architecture sociale ayant pour fondement le principe d’autorité ; 2° l’adoption et la mise en pratique du principe et des méthodes diamétralement opposées : le principe et les méthodes de liberté.

Les anarchistes ont l’inébranlable conviction que l’avenir leur appartient et justifiera leur doctrine. Ils ont la certitude que, tôt ou tard, après avoir épuisé, dans la douleur, toutes les méthodes et formes d’organisation sociale qui procèdent du principe d’autorité, les humains en arriveront à les repousser avec horreur et à tenter, confiants et résolus, l’essai des méthodes et formes d’organisation qu’engendre le principe diamétralement opposé. Alors, mais alors seulement, l’idée de révolution sociale, comme ils la conçoivent, triomphera et se développera sur le plan des réalités. Alors, et seulement alors, le « tout appartient à quelques-uns » de la période capitaliste, ayant fait place au « tout est à tous » des temps libertaires, et le « tous obéissent à quelques-uns » des époques autoritaires ayant été remplacé par le « personne ne commande et personne n’obéit ; ni maîtres ni serviteurs » de l’ère anarchiste, tous les individus, sans distinction de sexe et de nationalité, vivront dans le bien-être et la liberté qu’ils auront conquis par la Révolution véritable.


Les anarchistes prennent part à tous les soulèvements populaires de tendance révolutionnaire. — Gardons-nous de tirer de cette affirmation la conclusion que les anarchistes restent et doivent rester indifférents aux tentatives de révolution qui – cela n’est que trop certain – précéderont la mise en route et le triomphe des multiples et grandioses réalisations qui dériveront d’une libération à la fois politique, économique, intellectuelle et morale, issue de la révolution sociale selon leurs conceptions. Si optimistes que nous puissions être, nous ne nourrissons pas l’espoir de parcourir d’un seul élan, de franchir d’un seul bond la distance qui nous sépare encore de ce magnifique résultat. Nous ne nous faisons