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rant ainsi leur partie avancée de leurs arrières-gardes, de leur base de ravitaillement et de leurs dépôts de munitions. Le lecteur trouvera les détails de cet épisode dans le livre déjà cité : Histoire du mouvement makhnoviste, par P. Archinoff. Quant aux forces de Wrangel, leur défaite décisive par l’armée de Makhno me fut avouée par les bolcheviks eux-mêmes, dans des circonstances assez curieuses. Lors de l’offensive, très dangereuse, de Wrangel, je séjournais en prison bolcheviste, à Moscou. De même que Dénikine, Wrangel battait et refoulait l’armée rouge vers le nord. Makhno qui, à cette époque, se trouvait en état d’hostilités avec les bolcheviks, décida, vu le danger commun, de leur offrir h. paix et de leur prêter ma.in forte contre les blancs. Etant en mauvaise posture, les bolcheviks acceptèrent l’offre et conclurent une entente avec Makhno. Ce dernier se jeta sur l’armée de Wrangel et la battit à plate couture, près d’Orékhov (Ukraine). La bataille terminée, il envoya un télégramme à Lénine (Moscou), déclarant qu’il ne fera plus un pas en avant si l’on ne met pas immédiatement en liberté son ami Tchoubenko et moi. Ayant encore besoin de Ma-khno, les bolcheviks m’ont remis en liberté, en m’avouant, à cette occasion, les hautes qualités combatives de l’armée de Makhno et sa victoire brillante sur les forces de Wrangel. (Les détails sur la lutte contre Wrangel sont racontés dans le livre précité.)

Pour terminer avec les réactions de droite, je dois démentir ici-même certaines légendes inventées et sciemment répandues par des gens intéressés.

La première est celle de l’intervention étrangère, laquelle, d’après la légende, serait très importante lors des offensives de Dénikine et de Wrangel. (C’est surtout par l’importance de cette intervention que les auteurs bolchevistes expliquent la force et les succès des mouvements blancs.) Cette affirmation ne correspond pas à la réalité. Elle est très exagérée. De fait, l’intervention étrangère, lors de la révolution russe, n’a jamais été bien vigoureuse. Une certaine aide, assez modeste, en argent, en munitions et en équipement, ce fut tout. Quant aux détachements de troupes envoyés en Russie, ils ont été toujours de peu d’importance et ne jouèrent dans les événements presque aucun rôle. Ceci se comprend, d’ailleurs, aisément. Les chefs militaires étrangers craignaient fort la « décomposition » de leurs troupes en contact avec le peuple révolutionnaire russe. Les événements démontrèrent que ces craintes étaient assez fondées. En effet, sans parler des détachements anglais et français ou autres qui ne sont, en somme, jamais parvenus à se battre contre les révolutionnaires, même les troupes d’occupation austro-allemandes (après la paix de Brest-Litovsk), assez importantes et protégées par les forces du gouvernement ukrainien de Skoropadsky, furent vite décomposées et débordées par les forces révolutionnaires du pays (À ce propos, je me permets de souligner ici que le sort de l’occupation allemande confirme pleinement la thèse défendue par les anarchistes lors de la paix de Brest-Litovsk. Qui sait quelle serait aujourd’hui la face du monde si, à cette époque, le gouvernement bolcheviste, au lieu de traiter avec les impérialistes allemands, avait laissé leurs troupes pénétrer en Russie révolutionnaire, et si les conséquences de cette pénétration avaient été les mêmes que celles qui, plus tard, firent disparaître tous les Dénikine, les Wrangel, les austro-allemands, etc… ! Non, Lénine et ses camarades ne furent jamais des révolutionnaires. Ils ne furent que des réformistes quelque peu brutaux qui, en vrais réformistes, recoururent toujours à de vieilles méthodes bourgeoises. Ils n’avaient aucune confiance dans la vraie révolution et ne la comprenaient même pas. En confiant à ces bourgeois étatistes-réformistes le sort de la révolution, les travailleurs russes révolutionnaires ont commis une erreur fondamentale. Là est une partie de l’explication

exacte de tout ce qui s’est passé en Russie, depuis octobre 1917 à nos jours.) Nous avons vu quelles furent les véritables raisons de la vigueur des offensives contre-révolutionnaires en Russie.

La seconde légende fort répandue est celle du rôle de l’armée rouge. D’après les « historiens » bolchevistes, ce fut elle qui battit les troupes contre-révolutionnaires, qui écrasa les offensives blanches et remporta toutes les victoires. Rien n’est plus faux. Dans toutes les offensives contre-révolutionnaires importantes, l’armée rouge était battue et fuyait. Ce fut le peuple en révolte et, partiellement, en armes qui battait les blancs. L’armée rouge revenait invariablement après coup (mais en nombre), pour prêter main forte aux partisans victorieux, pour donner, ensemble avec ceux-ci, le coup de grâce aux armées blanches déjà en déroute, et pour se faire adjuger les lauriers de la victoire.

Je n’ai pas parlé de l’offensive assez importante de l’amiral Xoltchak, en Sibérie, — offensive soutenue par l’armée tchéco-slovaque. En effet, je ne connais pas assez les événements de Sibérie. D’après ce que je sais, indirectement, les raisons générales des premiers succès et de l’échec final de cette offensive furent les mêmes qu’ailleurs. Mais, je ne puis l’affirmer avec la même force et précision, n’ayant pas été témoin immédiat de ces événements. Je sais, cependant, d’une façon certaine, que le mouvement des partisans en armes a été aussi très important en Sibérie, et que son rôle dans la défense révolutionnaire fut considérable. Je rappelle au lecteur qu’au moment de l’offensive tchéco-slovaque (juin-juillet 1918), afin d’éviter toute complication, l’exécution du tsar Nicolas II et de sa famille, déportés à Ekaterinbourg, fut décidée par le Soviet régional et accomplie dans la nuit du 15 au 16 juillet.

Indépendamment de ces réactions de droite, se formèrent aussi, vers la même époque et plus tard, des mouvements allant dans le sens opposé, — mouvements révolutionnaires qui combattirent le pouvoir bolcheviste au nom de la vraie liberté et des vrais principes de la révolution sociale, bafoués, piétinés par le bolchevisme.

La politique générale néfaste, l’étatisme et le centralisme outrés, la « trahison » et l’impuissance flagrante des bolcheviks provoquèrent, d’abord, des mouvements de révolte et d’opposition dans les rangs mêmes du gouvernement et du parti. C’est ainsi que survinrent, en été 1918, le soulèvement — d’ailleurs purement politique — des socialistes-révolutionnaires de gauche et la rupture entre eux et le parti bolcheviste. Ayant participé, jusque-là, au gouvernement, les socialistes-révolutionnaires de gauche le quittent, déclarent la guerre aux bolcheviks et tombent bientôt sous les coups de la répression (en même temps que les anarchistes). C’est ainsi, également, que se forme, plus tard, au sein même du parti bolcheviste, la soi-disant « opposition ouvrière », dont les premières manifestations contraignent Lénine à publier son pamphlet connu sur la « maladie infantile du gauchisme », et qui succombe, ensuite, sous les mêmes coups d’une répression farouche. C’est ainsi, enfin, que, sur toute l’étendue du pays, se dessinent, de temps à autre, des mouvements de gauche, vite réprimés par les autorités.

Obligés de condenser, nous ne nous arrêterons ici qu’à deux de ces mouvements, tous les deux importants, significatifs, et tous les deux calomniés par les bolcheviks.

L’un fut le soulèvement de Cronstadt, en mars 1921. Les marins de Cronstadt ont tenu leur parole révolutionnaire donnée en 1917. Devant la carence totale du gouvernement bolcheviste, révoltés par sa « trahison », profondément émus par la situation épouvantable du pays, sans issue tant que subsistait la politique du parti au pouvoir, soulevés d’indignation et de colère, en apprenant la répression sauvage des troubles ouvriers à Moscou et à Pétrograd, ils se soulevèrent, d’ail-