Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/519

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
RUC
2485

me frères et sœurs au sein des familles nombreuses. Tous concourent aux mêmes travaux et participent aux mêmes jeux. La vie est la même pour tous. Et je m’étonne que ce système de la coéducation soulève encore tant de protestations, suscite tant de craintes et déchaîne de si ardentes controverses. C’est la conséquence de quinze siècles de domination chrétienne, quinze siècles durant lesquels la mentalité publique s’est graduellement pénétrée de préjugés ridicules et d’ineptes appréhensions.

Tous ceux que n’aveugle pas le parti pris se rendent peu à peu à l’idée qu’il y a beaucoup moins de danger à faire vivre et grandir côte à côte garçons et filles, qu’à les isoler les uns des autres. La simple observation démontre que c’est de la séparation systématique de ces enfants, à l’âge où commencent à sourdre en eux les premiers tressaillements de la vie sexuelle, que rodent les curiosités malsaines et les précocités dangereuses. Peut-on s’illusionner au point de croire qu’il suffira, pour que garçons et filles se tiennent à distance les uns des autres, de défendre aux premiers de parler aux secondes et à celles-ci de jouer avec ceux-là ? L’expérience atteste que le résultat de ces défenses est diamétralement opposé à celui qu’on en attend.

Aussi longtemps que les enfants sont assez jeunes pour qu’ils ne soient pas troublés par l’approche d’un sexe différent, il ne peut être que dangereux et immoral de les prémunir contre des fautes qu’ils n’ont même pas la tentation de commettre. Et lorsque garçons et filles parviennent à l’âge où ils se sentent obscurément émus par un regard échangé, par un frôlement, par un contact furtif, par un serrement de main, par une parole, on peut élever entre eux les barrières les plus hautes, on ne réussira qu’à augmenter l’émotion, qu’à accroître le désir de renouveler la rencontre. L’indéfinissable trouble qu’eussent émoussé de nouveaux regards, l’inexprimable émotion qu’eût atténuée une conversation franche et familière, tout cet ensemble de vibrations encore mystérieuses que l’adolescence et la puberté font naître, tout cela eût été peut-être sans lendemain et n’eût pas résisté à la bonne camaraderie que ne tarde pas à engendrer l’affinité d’âge. Et voici que les exigences despotiques des usages et des convenances, les prohibitions impératives d’une morale inopportune et maladroite sont venues sottement et démesurément grossir ces « riens » encore imperceptibles ; elles ont jeté dans les veines des ardeurs insoupçonnées ; elles ont glissé dans l’imagination des rêves fantastiques et délirants ; elles ont déchaîné dans le cœur vierge hier encore de tout orage, des tempêtes formidables ; elles ont livré passage aux curiosités qui rongent l’esprit, elles ont engendré les attentes qui énervent les anxiétés qui tourmentent, les déceptions qui torturent et les langueurs qui tuent. On voudrait savoir et on ignore ; on a soif de se revoir et on est séparé ; les jours sont longs, les nuits interminables ; on souffre d’être trop jeune ; on a hâte de vieillir. Ah ! L’heureux résultat ! Et comme la morale y trouve son compte !

Des psychologues qui se croient d’observation subtile et pénétrante adressent à la coéducation le reproche de féminiser les garçons et de masculiniser les filles. Il y a du vrai dans cette observation. Mais loin qu’elle soit au détriment de la coéducation, elle est tout à son avantage. Au contact des filles, les garçons perdent un peu de leur brutalité et de leur violence, ils se font plus doux, ils apaisent leurs gestes, ils modèrent leurs mouvements, ils atténuent la rudesse de leur langage et jusqu’à l’éclat un peu cuivré de leur voix. Au contact des garçons, les filles perdent de leur mièvrerie et de leur timidité ; elles se font plus courageuses ; leurs gestes sont moins effacés, leurs mouvements plus vifs ; elles reculent moins devant le mot hardi ; leur volonté s’affirme mieux ; leur énergie croit ; leur esprit de

malice et de ruse est moins aiguisé. Est-ce un mal qu’il en soit ainsi ?

Ce n’est pas mon avis, et j’estime que la vie commune, les études et les jeux partagés ébauchent au contraire une atténuation de certains contrastes que l’éducation, les mœurs, les occupations spéciales à chaque sexe, et les préjugés sociaux ont exagérés et esquissent un rapprochement qu’on peut considérer comme très heureux, puisqu’il arrache chaque sexe à certains travers qu’ont grossis des siècles de vie non seulement distincte mais opposée et même hostile, et qu’il communique à chacun d’eux une partie des qualités qui sont devenues lentement l’apanage de l’autre. Mais il n’y a là qu’un rapprochement, pas un mélange, pas une confusion ; une diminution, pas une suppression des distances et chaque sexe garde ses traits distinctifs : le garçon, la force, et la fille, la grâce ; le garçon, l’audace, et la fille, la coquetterie. »


L’éducation sexuelle. — La pratique de la coéducation pose le problème délicat de l’éducation sexuelle. Délicat ? Pourquoi le serait-il plus qu’un autre ? Pourquoi serait-il plus délicat de saisir l’enfant parvenu à l’âge et au degré de connaissance où cette question l’intéresse, des conditions dans lesquelles s’effectue la perpétuation de l’espèce humaine, que de le renseigner sur le mode de reproduction des autres espèces ? Le malaise que cause à l’éducateur une conversation ou un cours roulant sur cette question provient presque exclusivement du mystère dont le maître sent bien que l’enfant entoure ce problème ; et ce mystère lui-même a pour origine les périphrases et les réserves, les précautions oratoires et les sous-entendus avec lesquels il est d’usage d’aborder cette matière devant les enfants. Si elle était traitée avec franchise, abordée de front, étudiée au même titre que tel autre chapitre des sciences naturelles, toute gêne, tout embarras disparaîtrait.

Les hypocrites docteurs de la morale officielle qui prêchent la vertu, et qui généralement pratiquent le vice à la condition qu’on n’en sache rien, demandent pour les enfants l’ignorance de certains sujets. L’ignorance est toujours un mal, un danger.

Que de fautes, que de sottises sont commises par les enfants, uniquement par inexpérience, par ignorance ! Une mère et un père prévoyants doivent toujours éclairer leurs enfants. L’enfant finira par savoir ; pourquoi donc lui faire des cachotteries ! Serait-ce pour ménager sa pudeur ? Faire des cachotteries, c’est l’inciter à se faire, lui-même, sur des choses qui l’inquiètent, des idées fausses à propos desquelles il consultera des camarades ou des voisins. Il ne manquera pas non plus de personnes qui le renseigneront mal plus tard, alors qu’il ne sera plus temps d’agir pour l’instruire en toute franchise. Pourquoi donc lui cacher ce qu’il saura fatalement quelque jour ? C’est une imprévoyance impardonnable. Je prétends que lui dissimuler ces choses, c’est éveiller chez lui, avant l’âge que la nature assigne à son développement normal, des curiosités malsaines ; que c’est l’abandonner, confiant et ignorant, aux sollicitations de toutes les tentations qui l’entourent ; que c’est le livrer à tout hasard aux dangers des promiscuités pernicieuses ; que c’est l’exposer à l’abîme, au lieu de l’en préserver. Je prétends que les éducateurs qui agissent ainsi, au nom de la pudeur de l’enfant, sont coupables et imprévoyants. La vraie morale consiste à projeter sur ces sujets la lumière nécessaire, lumière que, quelque jour, l’enfant saura se procurer. Il vaut mieux que ce soit ceux qui l’aiment qui la lui donnent que ceux qui ne le connaissent point.


La Guerre a tué « la Ruche ». — La Guerre, la Guerre infâme et maudite a tué « la Ruche » (elle a tué tant de gens et tant de choses !) Seul, le produit de mes conférences la faisait vivre et, durant les hostilités, il était ordonné aux uns de tuer ou de se faire tuer et