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Il faut bien avouer aussi que le savoir que l’on acquiert à l’école n’a plus autant de valeur aux yeux des populations rurales. Le certificat d’études, plus difficile à obtenir aujourd’hui qu’autrefois, est cependant moins apprécié. Cela tient tout à la fois au peu d’utilité que présentent une partie des connaissances scolaires et à une évolution accélérée qui nécessiterait moins de connaissances, mais plus d’aptitudes à apprendre et à s’adapter.

L’école rurale d’hier — et c’est un reproche que l’on peut adresser également à l’école urbaine —, a négligé l’éducation, c’est-à-dire la formation des esprits, des cœurs et des caractères, au profit de l’enseignement. Sans doute, l’un et l’autre sont nécessaires et l’éducation est tout à la fois moins appréciée et plus difficile à donner. Il n’en est pas moins vrai qu’elle a une importance primordiale. Dans notre milieu rural, il est un fait frappant : ce ne sont pas les individus les plus instruits qui ont le mieux réussi dans la vie. S’ils n’ont pas réussi, ce n’est pas à cause de leur instruction, mais par suite de manque d’initiative, de volonté, d’alcoolisme, etc. ; et l’on ne saurait équitablement juger l’école et l’utilité de l’instruction qu’on y donne sans tenir compte du fait que ces défauts d’éducation sont, avant tout, d’origine familiale. Il n’en est pas moins vrai qu’ils jettent un certain discrédit sur l’école et il est certain aussi qu’elle l’a quelque peu mérité.

Si l’école rurale veut être plus favorablement appréciée, si elle veut jouer le rôle éducatif et social qu’elle pourrait jouer, il faut qu’elle s’adapte à son temps et à son milieu.

Lorsque je dis qu’il faut que l’école s’adapte à son temps et à son milieu, je n’en veux point faire — elle l’est déjà beaucoup trop — une force conservatrice. Ce milieu n’est pas quelque chose de statique, de mort ; c’est un organisme vivant, évoluant, progressant, parfois malgré lui.

Le rôle de l’instituteur rural consiste d’abord à donner à ses élèves un idéal, mieux encore : à les aider à se former un idéal individuel et social.

Il consiste ensuite à développer leur propre puissance. Il faut qu’il cultive en eux une certaine faculté d’adaptation et de compréhension de leur milieu social. Qu’on ne voie pas là un effort conservateur : on n’adapte les autres qu’en s’adaptant soi-même dans une certaine mesure, et cette adaptation, cette compréhension du présent ne sont que des moyens. Le but n’est ni en arrière, ni sur place, il est devant et c’est aux enfants devenus hommes qu’il appartiendra de le déterminer en tenant compte de cet élan vers le progrès, vers l’idéal que nous devrions leur donner.

Les augures officiels, et l’Union des Grands Intérêts Économiques, n’ont pas manqué de faire appel aux instituteurs ruraux pour combattre la désertion des campagnes. On s’est efforcé de leur prouver qu’ils disposaient de nombreux moyens d’action efficaces. La réalité est différente. Dans notre propre milieu, nous voyons d’un côté de gros fermiers que l’après-guerre a gâtés. Ils ont pris des habitudes de bien-être, de luxe qu’ils ne veulent pas abandonner et en des temps devenus plus difficiles, ils rognent non plus sur le superflu, mais sur les salaires de leurs ouvriers. Non seulement sur le montant du salaire journalier, mais encore sur le nombre de jours de travail : des fossés restent, de ci, de là, à nettoyer ; ailleurs, des ronces envahissent les champs, mille autres travaux utiles pourraient être faits pendant la saison mauvaise, alors que des ouvriers chôment une partie du temps.

Il n’en est point ainsi partout sans doute (les milieux ruraux sont si divers), mais là où l’égoïsme ne diminue pas le travail de l’ouvrier des champs, les machines agricoles se chargent de le faire. La désertion des campagnes a des causes économiques qui ne disparaîtront pas de si tôt.

La forte natalité qui a suivi la guerre baisse, les écoles rurales verront diminuer leurs effectifs. Sans doute, la diminution du nombre des élèves qui résultera de ce fait sera-t-elle compensée en partie par une prolongation de la scolarité. Pas suffisamment cependant pour qu’il n’en soit pas supprimé un certain nombre dont les effectifs seront devenus trop faibles.

La prolongation de la scolarité aura d’autres conséquences. Pendant la saison des foins et des récoltes, les grands élèves seront dispensés de fréquenter l’école. Il en résultera que ces élèves seront des travailleurs et des écoliers. L’école deviendra pour eux un milieu dont on est à demi sorti et dont on désire sortir tout à fait, à moins qu’elle ne sache évoluer, en rattachant son enseignement aux intérêts de ses grands élèves.

D’autres changements surviendront ; mais nous pensons que tous contribueront à une meilleure adaptation de l’école au milieu. — G. Delaunay.


RUSE n. f. On a reproché à certains théoriciens individualistes anarchistes d’admettre la ruse au nombre des quelques moyens de défense dont l’anarchiste peut encore disposer au sein de la société. Je ne puis m’empêcher de sourire quand je vois récuser l’emploi de la ruse comme arme de préservation individuelle. Mais, sans la ruse, il y a beau temps que l’autorité nous aurait annihilés et que l’ambiance nous aurait absorbés ! Pour subsister — c’est-à-dire pour conserver, prolonger, amplifier, extérioriser sa vie, l’anarchiste, l’en-dehors ne peut, sous peine de suicide, récuser aucun moyen de lutte, la ruse y compris — aucun moyen, dis-je, sauf l’emploi de l’autorité. Et cela sous peine de se trouver en état d’infériorité à l’égard du milieu social, lequel tend toujours à empiéter sur ce qu’il est et sur ce qu’il a.

Qui ne ruse pas ? L’ouvrier qui se garde bien de dévoiler ses idées à son patron ; le patron qui dérobe les siennes à son ouvrier ; l’afficheur de placards séditieux qui les colle de nuit sur les murs des édifices publics ; le distributeur de factums subversifs, qui prend bien soin qu’on ne l’aperçoive pas quand il les dépose dans les boîtes aux lettres. Et pourquoi dédaignerais-je l’usage de la ruse ? Pourquoi laisserais-je connaître le fond de ma pensée à mon adversaire ? Pourquoi me livrerais-je au premier venu ? Où ai-je dit que je vivais dans une maison de verre ? Je veux d’abord : vivre pour vivre. Je ne suis pas comptable au milieu autoritaire de mes gestes ou de mes pensées. Je ne campe pas dans ce milieu en ami. Je donne à la société capitaliste le moins possible de moi-même. Car je n’ai point demandé à naître, et en me mettant au monde, on a exercé à mon égard un acte d’autorité irréparable, qui exclut toute possibilité de contrat bilatéral.

Et qu’est-ce que la société ? J’ai déjà répondu à cette question et je me servirai des mêmes termes : « La société si je ne m’abuse, ce sont les usines, les prisons, les casernes, les habitations ouvrières, les taudis, les maisons de prostitution, les assommoirs, les tripots, les magasins de luxe. La société ! Mais ce sont les élus, les électeurs, les juges, les gendarmes, les propriétaires, les exploiteurs, les exploités, tout ce qui peut vivre (sans produire ou créer) aux dépens d’autrui et tout ce qui laisse autrui (sans créer ou produire) vivre à ses dépens. »

Et je devrais des comptes à cette société-là ? Je devrais me placer en état d’infériorité à son égard en m’interdisant l’emploi d’une des armes qui me permettent de résister le plus efficacement à ses empiétements sur ce que je suis et sur ce que j’ai ? Et cela, au moment même où force nous est de reconnaître qu’elle a la vie plus dure que nous l’imaginions, cette bougresse de société mourante !

Mais, tout ceci exposé, pour l’individualiste anar-