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prêtres. Toutefois, en cas d’urgente nécessité (in extremis) toute personne peut conférer le baptême.

Il me paraît que c’est dans l’institution des sacrements que s’affirme, de la façon la plus certaine, bien que fort habilement dissimulée, la volonté de domination dont l’Église catholique, apostolique et romaine n’a cessé de poursuivre et poursuit toujours la réalisation. — (Voir les mots Confession, Confessionnal). — S. F.


SACRIFICE (du latin sacrificium ; de sacrificare : sacrifier). On appelle « sacrifice » toute offrande faite aux divinités au cours de certaines cérémonies solennelles. Le sacrifice est le corollaire de tous les cultes. On exprimerait difficilement toutes les formes qu’il a revêtues. Le sacrifice religieux a deux buts : 1o  nourrir les dieux ; 2o  réconcilier l’homme avec la divinité. Le principal souci de l’homme étant la nourriture, il est naturel que les dieux calqués à son image partagent ce souci élémentaire. Les premiers sacrifices se composèrent donc d’aliments, de boissons, de liqueurs. L’homme a toujours cru que les dieux mangeaient et buvaient l’offrande ; qu’ils étaient doués d’appétit et d’organes digestifs. Le culte direct des animaux, encore pratiqué aujourd’hui en Afrique occidentale, a concouru à renforcer cette croyance et, plus tard, lorsque les animaux jadis adorés ne furent plus considérés que comme les représentants des divinités antropomorphes, ils continuèrent néanmoins à dévorer l’offrande au nom des dieux qu’ils remplacent. On peut encore citer comme exemple les éléphants sacrés et les vaches saintes de l’Inde moderne qui sont toujours abondamment pourvus de nourriture, ainsi que les alligators, soigneusement entretenus dans les bassins des temples indous. Si les divinités minérales et végétales ne mangent pas, elles savent tout au moins boire. On versait à leurs pieds, de l’eau, du lait, des liqueurs fermentées ; on les arrosait de sang, de graisse et de beurre fondu. On les nourrissait même, en insinuant dans les fentes de l’écorce ou de la pierre ou en suspendant dans les branches de l’arbre qui les abritait, des lanières de viandes que les animaux et les oiseaux se chargeaient vite de faire disparaître. Et, de cette disparition, les dévôts supposaient que l’offrande était agréée.

On s’est adressé aussi à la terre, au feu, au vent, aux eaux. Tous les fleuves, toutes les sources, tous les lacs sur le globe entier, ont reçu des offrandes de tous genres et les ont agréées. La terre, notamment, est une divinité qui a reçu le plus de sacrifices. L’air et le vent n’ont pas non plus été oubliés.

Le feu, qu’il ait été considéré comme un dieu ou comme un intermédiaire entre l’homme et les dieux, fut souvent le principal agent du sacrifice. C’est lui qui fut chargé, au cours des siècles et chez tous les peuples, de transformer l’offrande des fidèles : celle-ci étant consumée par le feu. Mais le suppléant de la divinité qui s’est montré partout le plus difficile à rassasier, ce fut le prêtre : le sorcier des sauvages s’empare des gâteaux et des victuailles destinées aux dieux ; le féticheur polynésien se charge de faire parvenir aux esprits les aliments à eux offerts ; le brahmane reçoit, moyennant finance, l’offrande de quiconque ne possède pas le feu sacré pour la consumer ; et le prêtre chrétien offre à son dieu le sacrifice de la messe et de ses prières, moyennant une honnête redevance !

Qu’a-t-on offert aux puissances surnaturelles ?

Dès les commencements, les viandes, les breuvages, les aliments de tous genres, ont été les aliments du sacrifice. On offrit aux dieux du sang, des parfums, la fumée des offrandes consumées ; on leur sacrifia les produits de la terre, des animaux, des parures, des objets précieux et rares, et souvent des créatures humaines. Les sacrifices humains s’accompagnant de cérémonies cultuelles compliquées eurent lieu un peu par-

tout. Rappelons les coutumes barbares des aborigènes du Mexique et du Pérou ; les sacrifices humains de la Malaisie ; les offrandes humaines à Moloch et à Baal en Phénicie. Les écritures juives ne nous disent-elles pas que la fumée des chairs brûlées est une odeur agréable aux narines de Jéhovah ?…

Plus tard, quand l’homme inventa que la nature des dieux était identique à celles des esprits, des fantômes, des choses mortes, il renonça à les nourrir de substances matérielles, il les supposa capables de déguster l’âme des offrandes. Les matières alimentaires ne furent plus offertes directement aux divinités, la vapeur odorante qui s’en échappe est censée les nourrir. Nous en arrivons ainsi aux parfums brûlés sur l’autel en l’honneur des êtres invoqués. La fumée de tabac, les résines odorantes, les bois odoriférants, les fumigations de plantes, l’encens et la myrrhe ont été offerts aux dieux. L’animisme ne voyait, dans ses pratiques, rien de choquant. Puisque les esprits et les dieux sont des fantômes impalpables, faits d’autre matière que celle des vivants, il est juste qu’ils se nourrissent de l’âme des êtres et des choses sacrifiées. De même que les fantômes des morts emportent avec eux les fantômes des esclaves, des femmes, des armes, des objets immolés sur leurs tombes ou brûlés avec eux, de même les dieux se repaissent d’essences réelles mais invisibles.

Évoluant, l’homme sans cesser de croire à l’appétit des dieux, à l’avidité des animaux sacrés, de l’eau, du feu, finit par restreindre le montant et la valeur des sacrifices. Tantôt la partie sera donnée pour le tout ; tantôt la substitution d’une personne à une autre ou celle, plus fréquente, d’un animal à un homme suffira à contenter le dieu.

Comme conséquence du sacrifice par substitution, apparut bientôt le sacrifice par effigie qui, lui aussi, fut en grand honneur. On a offert aux entités surnaturelles des figurines d’hommes et d’animaux, en bronze, en terre cuite, en farine, en cire, en pâte, en beurre. Ces figurines remplaçaient les victimes désignées et les dieux parurent fort bien se contenter de cette substitution. Les ex-votos offerts si libéralement par les dévots aux dieux qu’ils implorent se rattachent au sacrifice par substitution et sont, actuellement, une des plus riches mines exploitées par les clergés.

Dans les temps où s’est développé le sentiment moral, où l’homme a idéalisé dans la personne de ses dieux, ses plus hautes facultés, on admit vite que l’hommage le plus agréable à une puissance céleste était une vie pure, la pratique de la vertu, l’effort vers le bien. De cette donnée du sacrifice moral, le mysticisme a tiré les plus étranges et les plus funestes conséquences. Il a placé la vertu dans l’étouffement des facultés naturelles, dans la suppression des qualités les plus nobles de l’homme ; il en est revenu aux mutilations physiques, aux ascétismes barbares faisant de la divinité un être malfaisant se complaisant aux douleurs, aux désespoirs, aux calamités de l’homme. La résignation passive et stérile aux pieds des autels est ainsi devenue l’instrument d’un salut imaginaire.

Ajoutons à la théorie du sacrifice l’aberration suprême : celle qui offre à la divinité, non plus les peines de l’homme mais les souffrances des dieux. On avait sacrifié aux divinités des victimes humaines, la vie des femmes, des enfants, des choses bonnes et belles ; on leur offrit finalement des dieux, fils de dieux. Des victimes humaines, considérées comme l’image, la réplique vivante des dieux, étaient nourries et soignées pendant des mois chez les Aztèques et les Colombiens avant d’être finalement offertes en holocauste à leur père céleste. Dans l’Inde Védique, le dieu Sorna — la liqueur sacrée — était immolé par Agni, aux puissances célestes. Le sacrifice chrétien, l’Eucharistie, n’est pas autre chose que l’offrande d’un dieu fils à un dieu père, comme gage d’expiation et de rédemption.