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ble en rien, si j’ose dire, ce trouble et cette discontinuité. La monade éternelle ne passe dans une réalité complexe qu’en se libérant d’une autre. Chaque changement détruit et crée ; chaque changement est bond et révolution.

Me voici donc pluraliste comme Rosny aîné, et à la fois comme Leibniz, et encore comme le plus avisé et le plus complexe des monistes, Spinoza. Car son monisme équilibré s’associe à un dualisme subjectif, puisque nous connaissons deux attributs de la substance et à un pluralisme subjectif, puisque les attributs inconnus sont en nombre infini. En nombre infini aussi les modes naturés par chaque attribut de l’unique, double et infiniment multiple Naturante.



Je n’essaie de rien démontrer en métaphysique. Je ne m’attarde pas non plus à rien réfuter. Je n’impose ni ne m’impose ma métaphysique. Celle que j’ai dite ici, pour toujours peut-être mais peut-être seulement pour un an ou un mois, me satisfait à peu près. Je serais désolé qu’elle me satisfît complètement… Je ne dis à personne : Adoptez ma métaphysique. Je dirais plutôt à chacun : Essayez donc si vous ne goûterez pas un grand plaisir en bâtissant une métaphysique à votre mesure. — Han Ryner.

Bibliographie. — Le Pluralisme ; Les Sciences et le Pluralisme (J.-H. Rosny aîné). — Les Synthèses suprêmes ; Songes Perdus ; Crépuscules (Han Ryner). —Les philosophies pluralistes en Angleterre et en Amérique (J. Wahl). — L’Harmonisme (Louis Prat), etc.


PLUTARQUISME Ce mot est un des plus heureux néologismes produits par l’après-guerre. M. Jean de Pierrefeu paraît en être l’auteur. Il en a, en tout cas, justifié l’emploi et la destination mieux que personne dans ses ouvrages : G. Q. G. Secteur, et Plutarque a menti, où il a décrit l’œuvre de mensonge, de falsification des faits de la guerre de 1914, par les rédacteurs de ce qu’on a appelé le « communiqué ». Le plutarquisme a été la forme intellectuelle, élégante, aristocratique, du « bourrage de crâne », de ce mensonge ignoble, à l’usage des foules chloroformées patriotiquement, sans lequel « la guerre n’aurait pas duré trois mois », a écrit M. P. Allard qui fut préposé à la censure, autre organisme du Grand Quartier Général, chargé, avec les Conseils de guerre, d’entretenir un « moral » haineux et belliqueux.

Dépassant cette sinistre et honteuse époque de 1914-1918, le plutarquisme est l’histoire fabriquée, maquillée, vue en beauté, à la façon de Plutarque, auteur des Vies des Hommes illustres de l’antiquité. C’est la déformation des événements, l’exagération tendancieuse de ce qu’ils ont eu, très rarement, de grand, le silence, non moins tendancieux, sur ce qu’ils ont eu presque toujours de honteux ; c’est la fable, la légende, créées et imposées contre la vérité, l’embellissement systématique de l’insanité, et c’est l’apologie des pires bandits qui ont sévi sur l’humanité, l’idéalisation des pires crimes dont elle a souffert. C’est : « le héros couvert de lauriers, acclamé par la foule, l’impérator romain sur son char de triomphe », et qui ne fut pas « autre chose que le digne fils de ces brigands dégouttant de crimes, vivant du pillage et du vol, qui fondèrent la ville sur le mont Palatin. » (J. de Pierrefeu). C’est, après Plutarque, la glorification durant vingt siècles, par les annalistes, les chroniqueurs, les mémorialistes, les historiens, de tous ceux qui ont succédé à ces « héros » et ont abouti aujourd’hui au Président de la République « incarnation vivante, rejeton orgueilleux des grands bandits légaux qui ont détroussé nos ancêtres par l’usure, par le monopole, par la savante mise en œuvre

de tous les procédés que la loi, faite par eux, et pour eux, leur mit en main. » (M. Millerand)

Le plutarquisme accommode l’histoire, la pare à la façon des bouchers préparant leur étal. Il pique des fleurs sur le faisandage. Sur l’ignoble ordure de la guerre, il dresse le labarum de Constantin, le panache Blanc d’Henri IV. Il dit à Fontenoy : « Tirez les premiers, messieurs les Anglais ! » et il crie dans les tranchées : « Debout les morts ! » Il montre les gestes héroïques des grands personnages sur des champs de bataille où ils ne furent jamais. Tel, sur les tableaux d’histoire de Versailles, Louis XIV préside à tous les combats de son règne ; il ne risqua jamais sa vie dans aucun. C’est le cas d’à peu près tous les rois et conquérants à qui on attribue de hauts faits. Suivant des clichés adoptés, on dit : « César conquit la Gaule », comme on dit : « Sainte Geneviève sauva Paris » et « le général Joffre a gagné la bataille de la Marne » !

M. Julien Benda, parlant de la Crise de la vérité, a cité ce mot d’un de ses contradicteurs : « Qu’est-ce que le truquage d’un texte, près du salut de la France ! » C’est ce que disaient les faussaires du temps de l’affaire Dreyfus, pour qui il y avait une vérité française qui n’était pas la vérité de tout le monde. C’est ce que le plutarquisme a dit partout, depuis toujours, dans tous les pays. Qu’était le truquage d’un texte pour l’Église, auprès de la domination qu’elle voulait exercer ? Qu’est ce truquage aujourd’hui, auprès de l’impérialisme qui veut dominer à tout prix ? Ce sont vingt siècles de ces truquages qui ont fait de l’histoire l’enseignement de l’immoralité. Déjà, lorsqu’elle est écrite avec une recherche honnête de la vérité, l’histoire n’est qu’une « pauvre petite science conjecturale », comme disait Renan. Mais lorsqu’elle est cyniquement adultérée, elle est l’œuvre la plus criminelle qui soit contre l’esprit humain. Or, toute la vie sociale est bâtie sur l’infaillibilité dogmatique de l’imposture traduite par le plutarquisme. Il est d’autant plus dangereux que la lettre de ses textes est exploitée par des coquins. Couchoud a remarqué que quelques mots de la Bible : « Tu ne laisseras pas vivre la sorcière, ont provoqué sans fin des massacres de femmes ». Combien ont fait encore plus de morts les mots : Dieu le veut ! et Allons, enfants de la Patrie !

Diderot disait : « Quand il s’agit d’accuser les dieux ou les hommes, c’est aux dieux que je donne la préférence. » Le plutarquisme, lui, la donne aux hommes. Toutes les révoltes de l’humanité sacrifiée ont été, à ses yeux, des crimes, depuis celle de Prométhée jusqu’à celle des communards. Les Jacques étaient des bandits aux yeux du plutarquisant Froissard ; les peuples coloniaux qui se défendent contre les pillards « civilisateurs » sont des brigands, de l’avis de la valetaille plutarquisante des journaux. Le grand principe du plutarquisme a toujours été la justification de l’Ordre établi par les maîtres, si opposé qu’il eût été au véritable développement social et au progrès humain. La puissance romaine a été plus néfaste à la marche de l’humanité qu’elle ne l’a favorisée, et aujourd’hui encore le droit romain enserre l’homme comme dans un étau ; mais le plutarquisme a présenté cette puissance comme le rempart de la civilisation, même lorsqu’elle tuait la civilisation grecque, parce qu’elle représentait l’Ordre. Il a pris position pour les dieux contre les hommes, pour le Sénat contre Catilina et Spartacus et, à la façon de Mascarille, il a mis en madrigaux toute l’histoire romaine. Suivant le même principe, il a célébré et il continue à célébrer comme glorieuses les époques les plus calamiteuses de l’histoire de la France, celle de Louis XIV en particulier. Quelles que soient les preuves accumulées du malheur de cette époque, il y a toujours des Louis Bertrand pour plutarquiser sur « Louis le Grand » et écrire des insanités comme celles-ci : « Il a façonné nos âmes, notre sensibilité, notre