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SOC
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la démocratie. Cette mise hors de la démocratie des anciens exploiteurs et, d’une façon plus générale, de tous les ennemis de la révolution prolétarienne, est ce qu’on appelle la dictature du prolétariat. En vertu de celle-ci, seuls les prolétaires jouiront du droit de former des partis ou des ligues, du droit de tenir des réunions publiques, du droit de publier des journaux, du droit d’être électeurs et éligibles. Bien entendu, la confiscation des biens des contre-révolutionnaires sera l’une des armes, et non la moins redoutable, de la dictature collective du prolétariat.

Mais, surtout, le prolétariat se servira du pouvoir pour réaliser les grandes socialisations qui sont l’essence de son programme.

Commencera-t-il par faire passer sous son contrôle les grands monopoles privés ou les socialisera-t-il immédiatement ? Il est probable qu’on procédera par étapes et que le contrôle — contrôle gouvernemental et contrôle ouvrier — préparera la socialisation. Sauf pour les mines, les chemins de fer, les assurances, les transports maritimes, les banques, le commerce extérieur, on ne procédera pas, vraisemblablement, à la socialisation d’industries entières. On se contentera, dans chaque industrie (électricité, métallurgie, textile, produits chimiques, minoterie, etc.), de socialiser les grandes entreprises et de contrôler les autres. La grande exploitation rurale sera socialisée ; la moyenne exploitation sera contrôlée ; la petite restera libre, mais sera entraînée au travail collectif. Ce sont là, au surplus, des problèmes techniques plus que politiques. (Nous laisserons de côté la question — politique et non technique — de savoir si les anciens propriétaires expropriés seront indemnisés et dans quelle mesure. Peut-être y aura-t-il intérêt politique à leur servir, leur vie durant, une rente annuelle.)

Le pouvoir socialiste organisera des trusts régionaux et nationaux autonomes, dont la gestion sera confiée à des conseils composés de représentants des pouvoirs publics, du personnel salarié (ingénieurs, employés, ouvriers) et des usagers. Des plans à long terme seront dressés pour chaque industrie et pour l’ensemble de la production nationale, qui permettront d’ajuster le rendement annuel au montant des besoins, préalablement recensés, de la collectivité sociale.

Que fera-t-on du bénéfice ? Une partie sera consacrée au perfectionnement de l’outillage et des conditions du travail ; l’autre sera partagée entre l’État socialiste et les travailleurs des entreprises socialisées.

La Révolution prolétarienne, commencée par l’expropriation de la bourgeoisie, continuée par son expropriation économique, n’aura achevé son œuvre que lorsqu’elle aura éliminé tous les vestiges des antagonismes de classes et des antagonismes nationaux, que lorsqu’elle aura définitivement balayé tous les vestiges des antagonismes sociaux et des antagonismes nationaux De l’abolition des classes impliquée dans l’expropriation de la bourgeoisie, toute une série de révolutions sortira.

L’école sera affranchie de toute servitude de classe. Le droit de tous les enfants à l’instruction intégrale — à la fois littéraire et humaine, scientifique et technique — sera organisé. L’école deviendra non seulement pour les enfants, mais pour les adultes, un centre de vie intellectuelle et sociale intense.

La justice perdra, elle aussi, son caractère de justice de classe. Plus de juges professionnels. Des juges populaires, des jurés. Généralisation de l’arbitrage pour les conflits privés. On préviendra le crime pour n’avoir pas à le réprimer. Les anormaux, les anti-sociaux, les pervers seront soignés. Les prisons, s’il doit en rester, seront transformées : de lieux d’expiation, de tourment et de honte, elles deviendront des lieux de rééducation et de relèvement.

Les antagonismes nationaux, les impérialismes sont

une des formes de la concurrence universelle. Ils disparaîtront peu à peu et la guerre avec eux. La Société des nations (c’est-à-dire des peuples) deviendra une réalité. « En même temps que l’antagonisme des classes, à l’intérieur de la nation, l’hostilité des nations entre elles disparaîtra ». (Manifeste communiste.)

Avec l’extinction des antagonismes sociaux et des antagonismes nationaux, l’État enfin perdra sa raison d’être. Bien que les socialistes de la IIe Internationale aient trop souvent abandonné aux anarchistes, adversaires du « principe d’autorité », le monopole de la lutte contre l’État, l’idée que la notion d’État est liée aux notions de Classe et de Nation, que l’État naît, grandit, décline et meurt avec l’antagonisme des classes et des nations, est une idée profondément marxiste et socialiste. L’État n’a jamais été, pour les classes dirigeantes d’un pays que le moyen de tenir en respect les masses et de se défendre, en même temps, contre la concurrence des classes dirigeantes des autres pays. Dans la sphère de la politique intérieure, comme dans celle de la politique extérieure, l’État a pour but spécifique le maintien par la force de l’ordre établi, dont il constitue en quelque sorte l’armature et qui, sans lui, s’écroulerait. « À la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgira une association où le libre développement de chacun sera la condition de libre développement de tous. » (Manifeste communiste.)

La réalisation du socialisme ne sera pas l’œuvre d’un jour. Pour arriver au socialisme intégral, une longue évolution sera nécessaire, « qui transformera les circonstances et les hommes ». Mais cette évolution devra commencer dès l’avènement du prolétariat au pouvoir. Un gouvernement socialiste, qui, dès le premier jour, ne porterait pas la hache dans la forêt des privilèges capitalistes, commettrait une trahison.

Ce que seront les premières mesures à prendre ne peut qu’être indiqué ici. Le Manifeste communiste, dès 1848, en a énuméré un certain nombre, dont il attendait la centralisation, dans les mains du prolétariat dirigeant, de tous les grands moyens de production et d’échange, en même temps qu’une augmentation de la quantité des forces productives, donc de la masse des produits partageables. Ces mesures consistaient notamment dans : l’expropriation de la propriété foncière, un impôt fortement progressif sur les fortunes, l’abolition de l’héritage, le monopole des banques et des moyens de transport, la multiplication des manufactures nationales, c’est-à-dire la socialisation des grandes entreprises, etc…

Ces mesures ont un trait commun : elles transfèrent à la société une partie notable de la propriété capitaliste. Elles s’imposeront à tout gouvernement socialiste qui voudra vivre.

Non pas qu’il sera nécessaire de les prendre toutes d’un seul coup. La Révolution russe a montré qu’on ne fait pas sans péril table rase du passé et que, dans la liquidation de l’ordre ancien comme dans la construction de l’ordre nouveau, des transitions doivent être ménagées. Il ne sera pas indispensable de déclarer abolie du jour au lendemain la totalité de la propriété capitaliste. Il suffira de socialiser tout ce qui pourra l’être sans danger pour la production, qui ne doit pas s’interrompre un seul jour. L’évolution vers le socialisme commencera donc par une période d’économie mixte, mi-capitaliste mi-socialiste, où le prolétariat, maître du pouvoir politique, « détiendra les leviers essentiels après avoir socialisé les principales branches économiques, mais où un large secteur demeurera entre les mains du Capital, de l’initiative privée » (Lucien Laurat : Le Socialisme à l’ordre du jour, brochure). Au secteur socialiste appartiendront toutes les industries-clés et, bien entendu, les banques ; au secteur capitaliste les industries dépendant économiquement des premières.