Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.2.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
SPI
2657

autre médium monte à son tour au ciel de la célébrité. La mésaventure du médium précédent est tout à fait oubliée. De nouveau, les journaux publient des articles sensationnels ; les revues scientifiques vantent les expériences ; la Sorbonne ouvre ses laboratoires, etc., etc… Plein d’honneurs et d’argent, le médium est appelé dans le monde entier. Petit paysan, jeune ouvrier, ils ne connaissaient jadis que quelques kilomètres carrés de terrain ou le quartier pauvre d’une ville ; maintenant, le monde leur est familier. Avec un peu d’habileté et de truc, ils obtiennent beaucoup plus que tel savant ou tel artiste après toute une vie de travail ; ainsi va notre société, plus près de la barbarie qu’on ne pense.

La catastrophe, il est vrai, finit par survenir ; quelqu’un découvre la tromperie. Le médium est disqualifié ; adieu réceptions et voyages. Mais les prudents ont amassé leur magot et puis la disqualification n’est pas éternelle ; le médium trouvera toujours des consciences qui voudront bien le croire et le faire vivre.

Naturellement, les médiums tâchent de faire durer leur vogue le plus longtemps possible. Ils sont pleins de défiance et s’entourent de précautions. Un contrôleur leur paraît-il dangereux ? Ils le récusent, invoquent un prétexte quelconque pour ne pas opérer en sa présence ; le fluide contraire est un bon moyen d’éloigner les gêneurs. On déclare qu’un tel a un fluide qui contrarie les phénomènes ; la personne désignée n’a qu’à s’en aller.

A ceux qui voudraient voir, on répond que l’obscurité est indispensable ; si quelqu’un veut saisir le fantôme, immédiatement les compères l’en empêchent, alléguant un grave danger.

Malgré tout, nous l’avons dit, la supercherie est découverte tôt ou tard. On a trouvé le cheveu dont Euxapia Paladina se servait pour élever le plateau de la balance, abaissant ainsi l’autre plateau soi-disant chargé de fluide. Dans la célèbre villa Carmen, à Alger, le fantôme était une longue chemise blanche surmontée d’une tête de mannequin en carton. Les moulages soi-disant laissés par les corps astraux sont fabriqués par des magasins spéciaux, tel celui de M. Caroly, boulevard St-Germain. Il y a deux ans environ, les matérialisations de Nantes ont défrayé pendant plusieurs mois la presse. En fin de compte, c’était le jardinier qui assumait le rôle du fantôme… un fantôme de jeune fille et plusieurs assistants ont pu saisir ses… bretelles !


De grands savants ont cru au spiritisme. C’est cela que les spirites ne manquent pas d’objecter à leurs contradicteurs, laissant entendre à l’adversaire que lui, petit personnage, est bien osé, de se mettre au travers de gens célèbres qui se sont fait un nom dans leur spécialité. C’est là un argument d’autorité de valeur contestable. La fameuse preuve de l’existence de Dieu par Napoléon Ier qui, dit-on, y croyait, n’en est pas une. (Voir Savants (Les) et la Foi.)

On veut faire passer pour valeur réelle ce qui n’est la plupart du temps que le résultat d’une imposture sociale. Le savant est un bourgeois qui a été aiguillé, dès la jeunesse, dans une spécialité où il s’est fait connaître par ses travaux ; parfois il s’est illustré par une découverte due au hasard. Mais on répand partout le mensonge afin que le peuple soit persuadé que ses dirigeants : hommes d’État, généraux, savants, etc… sont tous des êtres d’intelligence supérieure. Il faudrait écrire le « Plutarque a menti » des savants comme on l’a fait pour les militaires. Certes, le savant peut être un homme supérieurement intelligent, mais il ne l’est pas nécessairement ; la plupart sont des gens d’esprit moyen. Ils peuvent donc, tout comme les autres hommes, être les dupes d’un charlatan.

Parfois, le savant n’est pas dupe, mais il feint volon-

tiers de l’être. Connu dans un cercle restreint de spécialistes, il est enchanté du médium qui fera parler de lui dans la grande presse. Si le médium se casse les reins, il en sera quitte pour déclarer bien haut qu’il n’y avait jamais cru. Enfin, tel savant, esprit puissant dans l’âge mûr, peut faiblir dans la vieillesse. Cela, joint à la hantise de la mort qui approche peut expliquer une adhésion au spiritisme.

Le spiritisme a beaucoup recruté durant les années qui ont suivi immédiatement la guerre. L’état de siège intellectuel avait abêti les gens et nombre de familles ayant perdu un fils dans l’hécatombe recherchaient des consolations dans cette doctrine illusoire.

Les journaux spirites, les livres sur « l’au delà » abondaient. La réincarnation était mise à la scène, des temples s’installaient dans une boutique qui ouvrait le soir ses volets et des gens s’y glissaient mystérieusement non pour tenter de renverser un gouvernement agressif, mais pour entendre un monsieur en jaquette débiter un fatras où il y avait du catholicisme, de la théosophie, une vague morale de bonté formelle et une politique réactionnaire. On chantait un cantique bébête et on s’en allait. Ceux qui avaient le temps revenaient dans la journée développer en des travaux pratiques leurs médiumnités latentes. Avec les années, le souvenir de la guerre s’est affaibli et les morts, tout à fait morts cette fois, ont cessé de faire marcher les tables.

Le spiritisme conserve cependant des effectifs assez nombreux.

Des religieux, que les religions officielles ont déçus, des malheureux qui viennent se consoler de la mort d’êtres chers et surtout une foule de déséquilibrés, demi-fous ou quart de fous. Car le nombre est beaucoup plus grand qu’on ne pense de gens qui, tout en étant capables de se tenir suffisamment bien dans la société, sont cependant des aliénés partiels. Dans le spiritisme, ils se sentent compris, alors que dans le monde ils n’osent parler de leurs… phénomènes, craignant la moquerie.

Malheureusement, si le spiritisme satisfait les demi-fous, il ne les guérit pas, bien au contraire. Les pratiques spirites, à la longue, conduisent à la folie : à force de s’introspecter, de se dédoubler, d’être plusieurs en un seul, on finit par devenir tout à fait aliéné, surtout quand on l’est déjà un peu.

Est-ce à dire que la mort soit réellement ce que nous en savons ; on ne pourrait l’affirmer. Peut-être, dans un avenir qu’il n’est pas possible de déterminer trouvera-t-on que quelque chose survit de nous après la mort du corps. Mais ce qui est certain c’est que jusqu’ici, en dépit d’études et d’expériences multiples, jamais personne n’a eu connaissance d’un phénomène spirite bien constaté. — Doctoresse Pelletier.


SPIRITUALISME n. m. (du latin spiritus, souffle, haleine). Dissipons d’abord une confusion volontairement entretenue par les défenseurs des croyances traditionnelles entre le spiritualisme théorique et ce que l’on appelle, d’une façon bien peu heureuse à mon avis, le spiritualisme pratique. Le premier n’est qu’un ensemble incohérent de rêveries métaphysiques ; le second consiste à placer les joies de l’esprit et du cœur au-dessus des plaisirs sensuels, dans le comportement ordinaire de l’existence. En fait, ce furent des matérialistes les stoïciens qui, dans l’antiquité, pratiquèrent la morale la plus austère ; de nos jours, maints savants mécanistes et athées poussèrent le renoncement plus loin que les personnages cités en exemple par les écrivains catholiques. Et nombre de spiritualistes convaincus, de pieux croyants se vautrent dans des orgies qui n’intéressent que les organes sexuels ou le gosier ! Un matérialisme sain et bien compris devient normalement générateur de nobles rêves, de sympathie à l’égard de tous les hommes et d’une très haute moralité. Par contre, les élans d’un spiritualisme échevelé, les amou-