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de sanction divine, et il n’est pas du tout nécessaire que les lois humaines se conforment au droit naturel ou reçoivent de Dieu le pouvoir d’obliger. — Il est même permis de refuser l’obéissance aux princes légitimes et même de se révolter contre eux.

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X. — Erreurs qui se rapportent au libéralisme moderne. — À notre époque, il n’est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’État à l’exclusion de tous les autres cultes. — Le Pontife romain peut et doit se réconcilier avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne.


Empressons-nous de dire que ce document eut, à l’époque de sa publication, un retentissement si considérable que le gouvernement impérial interdit aux évêques de le publier par voie de mandements. Bon nombre d’écrivains catholiques — et non des moins réputés — n’hésitèrent pas à ranger le « Syllabus » parmi les documents ex-cathedra, c’est-à-dire revêtus de l’autorité infaillible conférée aux décisions souveraines des pontifes de Rome. Faut-il souligner également combien il aggravait encore l’opposition que l’on savait déjà flagrante, irréductible, entre l’Église catholique et la société moderne ?

Remontons, en effet, à la Révolution française et voyons, par exemple, en quels termes le pontife de l’époque, Pie VI, appréciait cet événement si considérable.

Dès le 29 mars 1790, Pie VI, dans une allocution consistoriale, condamne ouvertement la Révolution française, ainsi que les principes de la Déclaration des Droits de l’Homme. Ne qualifie-t-il point de « décrets sacrilèges » la suppression des dîmes, la nationalisation des biens ecclésiastiques, l’admission des non-catholiques à toutes les fonctions civiles et militaires ? « N’est-ce pas, dit-il, faire œuvre satanique que de reconnaître à l’homme le droit de manifester librement sa pensée ? » Ne proteste-t-il pas, avec véhémence, contre un « vain fantôme de liberté », en déclarant que le gage de la félicité publique est « dans le lien d’une obéissance aux rois universellement consentie, car les rois sont les ministres de Dieu pour le bien et les défenseurs de l’Église » ? Et, le 10 mars 1791, s’élevant, à nouveau, contre le « droit chimérique » que constitue la liberté de pensée, il affirme, avec plus de force encore, « qu’il est insensé d’établir parmi les hommes l’égalité et cette liberté effrénée qui n’aboutissent qu’à renverser la religion catholique ».

Le 17 juin 1793, Pie VI, toujours, brandit, une fois de plus, ses foudres vengeurs pour blâmer la Convention d’avoir aboli la royauté « le meilleur de tous les gouvernements » et déclare qu’il est insensé d’avoir transporté l’autorité publique dans les mains du Peuple, absolument incapable, dit-il, de suivre aucun plan de conduite sage et raisonnable. La devise : Liberté, Égalité ? Il la condamne sans rémission. La liberté, « qui ne tend qu’à corrompre les âmes et à dépraver les mœurs » ; l’égalité, nom non moins illusoire, propre tout au plus à détruire l’harmonie sociale en détruisant le principe d’autorité !

Est-il permis de supposer, un instant, que ce langage fut particulier à Pie VI ? Entendez ses successeurs.

Pie VII, en 1800, réclame, dès son avènement, la suppression de la « licence effrénée de pensée, de paroles, d’écrits et de lectures ». Léon XII, à son tour, en mars 1826, anathématise francs-maçons et jeunesse universitaire, coupables de tendre au renversement « des pouvoirs légitimes ». Grégoire XVI, au lendemain de la Révolution de 1830, s’élève contre la doctrine du libéralisme, condamne les catholiques libéraux, leur reproche amèrement d’adhérer à cette « maxime fausse et absurde de la liberté de conscience, de la liberté des opinions, de la liberté de la presse surtout (la plus

funeste, la plus exécrable de toutes) ». On le voit : tous ces illustres représentants de Dieu sur terre n’ont eu d’autre souci, d’autre préoccupation que de s’opposer au développement des principes humains énoncés par les grands révolutionnaires du XVIIIe siècle. Pie IX, par son « Syllabus », ne faisait que suivre la politique fidèlement observée par ses prédécesseurs et, s’inspirant de ce fait historique, on peut hardiment avancer que le « Syllabus » n’est point la doctrine d’un pape, d’un seul, mais bien la doctrine de toute la papauté, avant et après Pie VI ! Pourrait-on, en effet, nous citer un Pape qui ait désavoué le « Syllabus » ? Si quelques évêques, à l’époque où il parut, lui furent hostiles, tous, de nos jours, sont unanimes à l’approuver sans réserves. Lisez ce curieux Manifeste publié, par l’Épiscopat français, le 10 mars 1925, contre les lois laïques, et vous constaterez qu’il n’est qu’une adaptation du texte de 1864 aux circonstances et aux nécessités du moment.

Arrivons à Léon XIII — « le pape libéral, ami des ouvriers » ! — N’a-t-il point formulé un corps de doctrine où, avec une souplesse et une habileté qu’on rencontre rarement, il condamne les principes de 1789 ainsi que la démocratie telle que la conçoivent la Société moderne et tous les hommes qui ne se paient point de mots ? Le Socialisme ? « Peste mortelle qui conduit la société humaine à sa perte » ; « doctrine diabolique qui tire son origine des conceptions empoisonnées des novateurs du XVIe siècle ». — La propriété ? « Invention divine et inviolable » qui, pour détourner le fléau du socialisme, possède une vertu qui ne se trouve ni dans les lois humaines, ni dans la répression, mais dans… la salutaire influence de l’Église !

Dans Humanum genus, encyclique publiée le 20 avril 1884, ce pape libéral déclare « qu’il ne peut admettre que le pouvoir vienne du peuple, pas plus qu’il ne croit à l’amélioration des hommes par les institutions ». Et enfin, dans Immortale Dei, parue le 1er novembre 1885, il présente Le Syllabus comme de nature à fournir une direction sûre au milieu des erreurs contemporaines et, une fois de plus, il condamne les libertés modernes, la liberté de conscience et de la presse, l’instruction laïque, le mariage civil, la séparation des Églises et de l’État.

Nous voici à l’aurore du XXe siècle. Le même pontife occupe toujours le trône de Saint-Pierre. Parvenu à la vingt-cinquième année de son pontificat, Léon XIII publie une sorte de testament où il précise sa doctrine en lui donnant une forme définitive. Que nous apporte ce testament qui n’ait été déjà proclamé, ressassé cent fois par les devanciers de l’auteur ? Condamnation de la Réforme et de la philosophie du XVIIIe siècle d’où découlent le Rationalisme et le Matérialisme. Réprobation véhémente du laïcisme, de l’esprit d’insoumission et de révolte des classes populaires. Anathématisation des sectes socialistes. L’Église dépositaire exclusive de la Vérité, de toutes les vérités et qui ne peut que flétrir la liberté accordée indifféremment à la vérité et à l’erreur, au bien et au mal. — Rien, on le voit, qui n’ait été dit déjà !

Et Pie X ? Interrogeons, sur ce point, le « grand démocrate-chrétien », le Silloniste Marc Sangnier. Il avait feint la réconciliation de son Église (car il est catholique avant tout !) avec le libéralisme, mieux : avec le socialisme ! Pie X eut tôt fait de l’exécuter, lui et ses disciples. Ils ne firent d’ailleurs aucune difficulté pour se soumettre et se démettre !….

Benoît XV continue la tradition sacrée ! Il s’élève contre les pauvres qui ont l’audace de s’attaquer aux riches ; il déplore la fréquence des grèves, condamne les « erreurs socialistes » et reprend les séculaires attaques contre « l’appétit désordonné des biens périssables », « la lutte des classes », « le laïcisme », « l’absen-