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lais ? Et comment s’y reconnaître, si l’on n’est pas pétri de sophistications théologiques ?

C’est par le symbole, image matérielle de sa pensée, c’est par la métaphore, image littéraire de ses états de conscience, que l’homme s’exprime et se fait comprendre. Le symbole remplit le monde, il est né avec lui. L’homme en eut immédiatement besoin. Il le trouva autour de lui, répandu dans la nature, mais livré à toutes les subtilités des interprétations. Il fut clair quand la pensée fut claire ; il fut ténébreux quand la pensée fut ténébreuse. Le symbole scientifique fut précis : avec lui, trois fois un firent trois. Le symbole théologique fut absurde (Credo quia absurdum) ; avec lui, trois fois un ne firent qu’un ! Le symbole artistique et littéraire fut livré à toutes les fantaisies de l’imagination. Le réalisme l’éclaira des rayons de la vérité, l’idéalisme l’obscurcit de métaphysique. Le symbolisme shakespearien fit d’un nuage une belette, un chameau, une baleine. Le symbolisme dadaïste fit d’un tuyau de poêle une femme, un ver solitaire, un orgue de barbarie, etc… Les symboles eurent ainsi les significations les plus diverses, et parfois les plus ahurissantes, suivant leur emploi.

Pour les anciens, qui intégraient le divin dans la nature, le symbolisme était plus familier qu’aux hommes d’aujourd’hui. Les interprétations religieuses le firent de plus en plus mystérieux et impénétrable. La préhistoire eut ses manifestations symboliques dans l’architecture, dans les matières taillées, l’écriture, le dessin, la peinture des cavernes, dans les traditions orales devenues légendaires, transmises par les générations successives. Ce sont ces légendes qui ont fourni à Frédéric Creuzer les éléments de sa Symbolique, où il a expliqué le symbolisme primitif et sa place dans l’origine des religions antiques, principalement de la mythologie grecque. L’ouvrage de Creuzer a été complété par celui de Guigniant : Religions de l’antiquité.

Tous les deux établissent que les développements du symbolisme, dans les formes scientifiques les plus précises comme dans celles les plus vagues de l’art et de la littérature, ont eu leur naissance dans l’observation et l’interprétation des phénomènes naturels. Tant qu’il se confondit avec la nature, ne recevant que d’elle ses instincts, ses forces et les aspirations de sa conscience, l’homme rechercha des symboles naturistes. En s’écartant de la nature pour découvrir et atteindre un divin de plus en plus incertain et inaccessible, il perdit la clef des symboles. Malgré leur multiplication, et peut-être à cause d’elle, l’homme devint impuissant à représenter la diversité de la nature par la leur. A. France, en faisant cette constatation, y a vu la raison du peuple juif de se faire un dieu unique au milieu des peuples polythéistes « d’une imagination plus savante et d’une pensée plus philosophique ». Déjà l’observation et l’interprétation de la nature, de plus en plus obscurcies chez l’homme, ne s’étaient retrouvées que vaguement dans la mythologie grecque à partir d’Homère et d’Hésiode. Chez les latins, elles furent complètement éteintes après Lucrèce. Le christianisme fut l’aboutissement moderne de l’impuissance humaine devant les symboles de la nature.

Les bouddhistes voulant « se perdre dans l’infini des choses » plutôt que dans un incompréhensible divin, recherchèrent la sagesse d’abord chez les animaux. Toute une représentation symbolique d’un admirable esprit et accessible à tous, résulta de la considération déférente et affectueuse de l’homme pour l’animal. Le serpent enroulé en cercle symbolisera l’éternité et l’éléphant fut le type de la sagesse. Le divin fut pour eux dans la nature sensible. Dieu était le soleil qui avait, par sa puissance, fait sortir l’homme et l’animal du limon de la terre comme il en faisait sortir les plantes. La pureté de cette naissance eut pour symbole, chez les Égyptiens, le bœuf Apis, né d’une génisse vierge

fécondée par un rayon de soleil. Le même symbole fut encore plus poétiquement représenté dans la mythologie grecque par les amours de Jupiter, principe de l’air qui féconde le monde dans ses rapports naturels avec les choses. Du même principe de la nature fécondante se forma la légende de la Vénus Génitrix, déesse de la volupté et de la maternité, mère du monde, la « bonne mère » que la ferveur populaire continua d’adorer dans la Vierge Marie, sans souci de cette Immaculée Conception dont le dogme ténébreux est souillé par les odieuses mystifications du péché originel et de la nécessité de la rédemption. C’est ainsi que les « symboles sont indéfiniment extensibles ; d’abord simple fantaisie de l’esprit, puis dogmes religieux que le fidèle confesse sur le bûcher, — d’abord germes à peine perceptibles, puis végétations immenses, — ils obéissent à l’imagination qui les créa, qui les nourrit et qui peut, s’il lui plaît, leur faire envahir le ciel et la terre. » (E. Reclus).

Les dieux eurent toutes les formes naturelles avant de prendre celle de l’homme, quand son aberration mégalomane lui fit imaginer un Dieu à son image ! Le soleil symbole universel de la vie féconde, fut réduit aux figurations locales des Osiris, Jupiter, Bouddha, et de mille autres plus ou moins monstrueux, avant d’aboutir au Christ, vulgaire thaumaturge dont la charlatanerie religieuse annonce un prochain retour pour purifier le monde en jugeant les vivants et les morts ! Plus bas encore, la sottise humaine ravala le symbole solaire au point de le réduire à un Alexandre, un Justinien, un Louis XIV !….

Tant que la théologie, théorie spirituelle de l’asservissement de l’homme par l’homme, ne s’imposa pas, le symbolisme fut le langage universel des êtres et des choses, et c’est en remontant à cette source pure que Baudelaire a écrit :

« La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers. »

Ce symbolisme naturiste a fait que dans toutes les grandes œuvres, comme celle d’Ibsen qui en est particulièrement inspirée, — l’idéal et la réalité se fondent, et que les principes et les passions se heurtent avec tant de véhémence par la transposition, dans l’humain, des forces naturelles et de leurs lois morales en lutte entre les courants arbitraires de la civilisation. Ce sont les symboles créés par les courants arbitraires qui nous font accepter, en nous les rendant familières, une foule de manières de faire et de penser que notre raison repousserait si nous les discutions. Nous sommes saturés de symboles, mais plus ou moins adultérés d’idéologie mystique, poétique, héroïque, ne correspondant plus que très relativement aux sentiments et aux sensations générales ou particulières de notre individu. C’est par les symboles que l’art exerce sa puissance, mais ce n’est qu’en dépassant la vie conventionnelle qu’il éveille en chacun de nous cette sensibilité si profondément cachée que parfois nous ne la soupçonnons pas (voir Sens esthétique).

Le symbolisme a suivi rigoureusement l’évolution humaine à travers les temps, les milieux et les mœurs. La préhistoire a eu ainsi des évolutions symboliques. Les temps historiques nous ont fait connaître des symbolismes védique, égyptien, hébraïque, hellénique, gréco-latin, scandinave, germanique, etc… Ils ont été étroitement mêlés à la formation des mythes et les ont propagés parmi les peuples. Le symbolisme est devenu anthropomorphique avec les religions qui donnèrent aux dieux la forme humaine. Il s’éloigna de plus en plus de la nature quand ces religions passèrent du polythéisme au monothéisme. L’incomparable grandeur du symbolisme grec vint de l’humanité de son polythéisme. Il libéra l’homme de la terreur des forces naturelles et