Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.2.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
SYN
2703

On trouverait trace de telles associations, de tels groupements, quelle qu’en soit la forme, dans les temps les plus reculés de l’Histoire.

Sans doute, à ces époques lointaines, n’était-il pas question de syndicalisme. Le mot était inconnu, mais la chose existait sous des aspects divers et variés.

A mon avis, il n’est pas exagéré d’affirmer que le syndicalisme, sous des formes rudimentaires, a existé dès que la vie en société s’est imposée aux hommes comme une nécessité.

Dès ces jours reculés, qui se perdent dans la nuit des temps, la solidarité, l’entraide, l’alliance, qui constituent les bases morales fondamentales du syndicalisme moderne, sont devenues, pour les hommes appelés à vivre en commun ou en rapport, les principes vitaux dont la pratique et l’application étaient indispensables pour assurer leur sauvegarde, défendre leur vie, acquérir une tranquillité relative ; produire, échanger et consommer.

En effet, c’est en pratiquant la solidarité et l’entraide que les hommes ont pu conquérir la première place dans le règne animal. S’ils ne s’étaient pas unis, bien qu’ils fussent doués d’intelligence, ils eussent été les victimes, dans la lutte pour la vie, des races d’animaux supérieurement armés pour cette lutte, plus vigoureux et plus forts.

Or, le contraire s’est produit ; non seulement l’homme, groupé avec ses semblables, a défendu victorieusement sa vie, assuré sa subsistance, propagé son espèce, mais encore il a détruit ou domestiqué presque tous les animaux qui lui disputaient le droit à l’existence et asservi les forces naturelles.

C’est également par la vie en commun, par la pratique de l’entr’aide, que les inventions ont pu être réalisées, véhiculées, appliquées et que, de proche en proche, la civilisation, si contrariée qu’elle ait pu être dans son essor, a pu, néanmoins, se développer, modifier et, parfois, bouleverser les conditions de vie des hommes à des périodes déterminées.

Il est infiniment probable que le syndicalisme préhistorique n’avait pas d’autre but que d’assurer à l’homme la sécurité de la vie et les moyens d’existence.

Et si la vie avait suivi son cours normal ; si les hommes n’avaient jamais connu l’ambition, la haine, la domination, l’autorité, la propriété, la jouissance et le lucre, le syndicalisme aurait sans doute connu un développement continu et sans histoire et le but que nous poursuivons encore — que d’autres poursuivront peut-être — serait atteint depuis longtemps.

La naissance, chez les hommes, des sentiments ci-dessus indiqués, devait fatalement les séparer, les diviser, les dresser les uns contre les autres, faire naître des groupes dont les intérêts concordaient.

C’est ainsi que s’explique l’origine des classes sociales antagonistes dont il serait vain de vouloir nier l’existence.

La lutte entre les classes, dont l’une est privilégiée et l’autre déshéritée, exigea, de part et d’autre, la constitution de groupements pour défendre les intérêts et les aspirations des forces en lutte.

Ainsi naquirent successivement l’État, puis les syndicats ouvriers et patronaux, dont l’opposition demeurera constante, sur tous les plans, aussi longtemps que les causes et raisons de cette opposition : propriété, privilèges, autorité, subsisteront.

En ce moment, deux grands mouvements de classe : le syndicalisme patronal et le syndicalisme ouvrier sont face à face.

Chaque jour, l’un et l’autre englobent de nouveaux éléments de vie et d’action, agrandissent le champ de leur activité et se substituent, en fait, aux partis politiques qui, de plus en plus, perdent leur caractère originel et deviennent, dans des Parlements condamnés, les exécuteurs des volontés des grands groupements qui s’af-

frontent sur tous les terrains. Lorsque les Congrégations économiques imposent leur volonté au Parlement et aux Parlementaires, c’est le syndicalisme patronal qui parle et agit ; lorsque le Cartel des fonctionnaires et la C.G.T. obligent les socialistes à renverser, malgré leur désir, un gouvernement, puis plusieurs, c’est, indiscutablement, le syndicalisme ouvrier qui se manifeste contre l’État-patron. Bien que cette action indirecte, par pression, n’ait, à mes yeux, qu’une valeur relative, il n’est pas douteux que les éléments révolutionnaires ne sauraient, en la circonstance, la condamner.

Qu’il soit patronal ou ouvrier, le syndicalisme a toujours essayé et, en général, réussi à grouper toutes les forces vives et actions encore éparses. Cette idée de synthèse s’est ancrée avec toujours plus de force, mais elle a pris des formes diverses dans les deux camps.

Elle eut, en effet — et elle a encore — des partisans convaincus et acharnés ici et là.

Tandis que, de part et d’autre, certains hommes sont partisans d’une synthèse générale, qui permettrait de réunir tous les individus sur le plan d’un grand intérêt général, d’autres, moins ambitieux sans doute, mais plus pratiques et actuels désirent seulement réunir, sur un même plan, les individus dont les intérêts sont réellement concordants.

De ces idées de synthèse sont issues : la collaboration des classes et la lutte de classes, sous leur forme moderne.

La première a pour but de développer et de défendre, par voie d’ententes entre les classes antagonistes, l’intérêt général — ou plutôt ce qu’on qualifie de tel ; l’autre vise à défendre l’intérêt de classe, à le faire triompher, à donner naissance ensuite au véritable intérêt général dont elle nie actuellement l’existence.

De toute évidence, parce que la logique le veut ainsi, c’est la seconde conception qui finira par s’imposer et nous reviendrons ainsi à la source du syndicalisme… après la disparition des classes.

Après avoir réalisé sa mission de libération humaine et la construction sociale, le syndicalisme n’aura plus pour but que de permettre à l’homme de lutter contre les éléments hostiles, de les vaincre, de les asservir pour le bien et le bonheur collectifs ; de poursuivre les recherches incessantes qui refouleront l’Inconnaissable et développeront la Connaissance ; d’appliquer, pour le plus grand bien de tous, les découvertes scientifiques aux œuvres pacifiques et laborieuses.

Ce rôle est assez noble et assez vaste pour attirer tous les hommes et les retenir à la tâche jusqu’à ce que celle-ci soit complètement accomplie.

Il est pourtant discuté et, précisément, par certains de ceux qui devraient l’accepter et le remplir les premiers. Et ici se pose cette question : les syndicats doivent-ils subsister après la révolution ?


L’existence des Syndicats après la Révolution. — Si, chez les anarchistes révolutionnaires, nul ne conteste la nécessité de l’existence des syndicats avant la révolution — il en est, très peu nombreux il est vrai, qui nient volontiers et avec force — plus de force que d’arguments — que les syndicats soient nécessaires après la Révolution.

Pour ma part, je ne déclare pas seulement qu’ils sont nécessaires, mais je ne crains pas d’affirmer qu’ils seront indispensables.

Que proposent donc, pour les remplacer, les anarchistes, adversaires des syndicats après la révolution ?

De vagues groupements de producteurs, essaimés, sans liens véritables entre eux, échangeant quelques statistiques ; produisant à la diable, sans savoir pourquoi ni comment, n’ayant aucune idée des besoins collectifs dans tous les domaines.

Si ces hommes croient vraiment que c’est avec une telle organisation qu’on peut assurer la vie économique