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TABOU n. m. Vulgarisé chez nous par les ethnographes et les sociologues, ce terme, qui signifie sacré, s’écrit tabu, tapu ou kapu ; selon les dialectes, en polynésien. Il s’applique aux personnes ou aux choses soustraites au contact ou à l’usage ordinaire, et groupe des interdictions qui relèvent des idées, longtemps non dissociées, d’impureté et de sacré. Véhicules de forces magiques très dangereuses, les tabous doivent, ou n’être point touchés, ou n’être manipulés qu’avec une extrême prudence. Celui qui les viole s’expose à des châtiments surnaturels très graves : mort, folie, cécité, maladies diverses. Et, s’il échappe aux conséquences magiques de son infraction, la collectivité le frappe pour ne point encourir la vengeance d’entités redoutables. Le simple contact d’un être ou d’un objet, soit impur, soit sacré, suffit souvent à conférer la qualité de tabou.

Ce furent des motifs de nature religieuse, non des raisons d’ordre pratique, qui présidèrent à l’établissement des premiers tabous. Ces derniers résultaient du caractère magique des personnes, des objets, des actes, des lieux auxquels ils s’appliquaient. Par la suite, prêtres et chefs en édictèrent d’autres, pour mettre à l’abri des violences leur vie et leurs biens. Plusieurs semblent s’inspirer de l’intérêt du clan et, peut-être, de considérations hygiéniques. Gardons-nous pourtant d’interpréter les vieux préceptes en fonction de notre mentalité actuelle et d’attribuer aux anciens législateurs religieux des préoccupations qu’ils n’avaient à aucun degré. La défense de manger du porc faite aux Hébreux, l’interdiction de manger de la viande le vendredi de chaque semaine faite aux catholiques ont une origine purement superstitieuse et ne s’expliquent point par des raisons d’hygiène, comme certains auteurs le prétendent. De même, en prescrivant le repos sabbatique, Moïse se borna à codifier un vieux tabou, le samedi étant considéré comme un jour néfaste pour le travail.

L’étude des tabous, particulièrement facile dans la région polynésienne, a pu être faite aussi en Malaisie, en Australie, chez les indiens d’Amérique, chez les noirs d’Afrique et dans beaucoup d’autres pays. En outre, l’histoire démontre qu’il s’agit là d’une des plus vieilles institutions religieuses de l’humanité. Dans la Bible, l’existence de tabous est attestée à maintes reprises ; l’interdiction de manger les fruits de l’arbre de la science du bien et du mal, interdiction que l’on trouve dès la première page, rentre déjà dans la catégorie des prescriptions de cet ordre. Le code mosaïque est encore plein de tabous ; et c’est à des idées fort voisines qu’aboutissent les notions, essentielles chez les Hébreux, de pureté et d’impureté légales. Le Tu ne tueras point du Décalogue, pour citer un exemple, n’était qu’un tabou applicable aux hommes de même race. Il n’avait aucunement la valeur absolue que les meilleurs chrétiens lui attribuent maintenant. Les massacres fréquemment ordonnés par Jahveh en fournissent la preuve. Dans le second livre de Samuel, on voit qu’un homme fut, à cette époque encore, frappé de mort pour avoir touché l’Arche d’Alliance, cet objet étant tabou. Chez les Grecs, chez les Romains, et même chez des peuples civilisés actuels, l’on pourrait trouver de nombreux faits rappelant les prescriptions impératives et irraisonnées des Polynésiens. La crainte inspirée chez nous par le nombre 13, le refus d’accomplir certains actes tel jour ou à telle date, la répugnance pour certains lieux ou pour certaines personnes, les traditions relatives au mauvais œil, etc., résultent de croyances primitives aujourd’hui oubliées.

Quelques auteurs rattachent aux tabous les impératifs moraux et la notion même de devoir. Leur influence théorique et pratique fut certainement énorme dans le domaine social, ainsi qu’en matière de morale individuelle et de religion. Fruits de l’ignorance et de la peur, les tabous sont particulièrement nombreux chez les peu-

plades non civilisées. Les sauvages d’Australie, dont ils constituent presque tout le bagage scientifique, comptent parmi les races les plus arriérées. D’une façon générale, le sauvage n’est d’ailleurs aucunement l’homme libre, décrit par certains écrivains d’Europe. Lié par d’innombrables prescriptions traditionnelles, terrorisé par la crainte des entités surnaturelles et des forces magiques, il est privé de la véritable indépendance qui constitue le bien suprême du philosophe et de l’homme évolué. C’est en se libérant des superstitions puériles, des rites gênants, des tabous irraisonnés que les peuples, cérébralement bien doués, ont fait œuvre civilisatrice.

Une première sélection de tabous fut accomplie par les chefs et les sorciers qui gardèrent seulement ceux qu’ils jugeaient utiles à leur prestige et à leurs intérêts. Même en Polynésie, un chef puissant viole les prescriptions sacrées sans risque d’aucune sorte ; mais, s’il agissait de même, un homme de rang inférieur s’exposerait à de très graves ennuis. Depuis, les autorités civiles et religieuses sont devenues conscientes du danger qui résulterait pour elles d’une disparition trop poussée de la superstition ; elles s’efforcent en conséquence de maintenir, chez le peuple, des croyances et des préceptes contraires à la raison. Nous le constatons en France, où des ministres francs-maçons favorisent secrètement les moines et les curés. Pourtant le progrès exige une laïcisation complète de la morale et du savoir humain.

Nous sommes encore loin de cet idéal Les préjugés théologiques, la peur de forces supérieures mal définies demeurent vivaces, même chez les nations qui se disent civilisées. Trop de savants affectent un respect de mauvais aloi à l’égard des croyances et des rites religieux. Et le prêtre, considéré comme l’un des plus fermes soutiens du Capitalisme et de l’Autorité, jouit d’une influence qui semblera incompréhensible à nos descendants, enfin libérés de tous les tabous ancestraux. — L. Barbedette.


TACHERON n. m. « Ouvrier à la tâche ou à forfait, l’entreprise d’une tâche. » (Dict. Larousse).

Espèce de sous-entrepreneur qui se charge d’accomplir une tâche dans des conditions de prix et de temps avantageant le patron ou l’entrepreneur direct qui se trouve, ainsi en dehors des multiples soucis de surveillance et d’observation ; de l’embauchage et du débauchage des ouvriers ; d’évaluations diverses de la main-d’œuvre et de la répartition équitable des salaires ; Le petit et le grand Larousse ignorent tout cela, sans doute et n’en disent pas davantage sur ce mot. Il y aurait pourtant beaucoup à dire.

Les ouvriers du bâtiment : charpentiers, maçons, peintres, etc., savent mieux que personne ce qu’on doit penser des individus désignés par ce nom de tâcherons.

Ils ne sont pas seulement les entrepreneurs ou, plus exactement, les sous-entrepreneurs d’un travail ou même de plusieurs travaux à forfait : ils sont les intermédiaires entre le patron ou l’entrepreneur et les ouvriers. Leur but n’est pas de vouloir simplifier l’exécution du travail à l’avantage de l’ouvrier, mais au contraire de débarrasser l’entrepreneur de multiples soucis et tout particulièrement de celui d’exploiter, de pressurer, de voler ignoblement les salariés ; ils s’en chargent pour lui.

Les travailleurs de beaucoup d’autres corporations ont dû lutter et luttent encore contre le tâcheron.

Les ouvriers terrassiers ont énergiquement combattu ces sortes de jaunes sur les chantiers.

Les dockers ont eu, également, à combattre ce fléau. On ne peut pas énumérer toutes les grèves dont les tâcherons ont été la cause par les injustices et les façons inqualifiables d’agir dont ils illustraient leur tyrannie. On ne peut dire ici les drames sociaux aux-