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THÉ
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Périclès ». Une longue étude d’Aristophane serait à faire pour montrer toute l’étendue de sa satire qui s’attaqua à tout, aux plus grands événements politiques et sociaux, aux plus hauts personnages, comme à toutes les formes les plus insignifiantes de la vie domestique et des mœurs particulières. La comédie aristophanesque devint de plus en plus celle des mœurs lorsque, au commencement du IIIe siècle, des lois réprimèrent les attaques contre les personnages publics. Aristophane ferma la grande époque du théâtre grec commencée par Eschyle. Il fut le satirique dans la tétralogie immortelle qu’il forma à côté des trois grands tragiques Eschyle, Sophocle et Euripide.

Jusqu’aux derniers jours de la liberté athénienne, le théâtre fut populaire. En ce temps-là, il était ce que Lucrèce a appelé « la nouveauté fleurie du monde ». Il traduisait librement les multiples sensations de la vie. Aristophane, qui a si souvent choqué le bégueulisme de ses traducteurs, mettait dans ses œuvres, à côté de grossièretés ordurières, d’exquises impressions de nature et des pensées élevées. La « canaille » d’Athènes, qui jugeait au théâtre, avait une délicatesse de sentiment qu’on aurait vainement demandée deux mille ans plus tard à « l’élite » de la cour de Versailles. M. Despois a très justement remarqué que l’Hippolyte d’Euripide, le « jeune chasseur pur et vierge comme les prairies qu’il aime à parcourir, et qui veut toujours ignorer l’amour », aurait été « impossible et ridicule » au temps de Louis XIV si Racine ne l’avait accommodé à la mode de ce temps, c’est-à-dire, en en faisant un coquebin façonné par la morale trouble des jésuites et des « honnêtes gens ». Le théâtre tenait une telle place dans les préoccupations populaires que les frais de ses représentations étaient en premier lieu dans les budgets de l’État et qu’on n’en pouvait rien distraire, même pour la guerre. Longtemps, le théâtre fut entièrement gratuit. Il le demeura pour les indigents quand on fit payer une obole à son entrée à Athènes. Bien que subventionné par l’État, le théâtre en était indépendant. Le peuple était seul juge des œuvres que les auteurs, à la fois poètes, organisateurs de spectacles et parfois acteurs, lui présentaient. Il n’était pas plus sujet à erreur que les prétendues « compétences » régissant le théâtre d’aujourd’hui. Le cas du triomphe poétique d’un Denys, tyran de Syracuse, était une exception due à la corruption politique. Aujourd’hui, la corruption est devenue la règle et le théâtre en est empoisonné comme toutes les formes de la vie sociale livrées à l’insanité souveraine.

A Rome, chez un peuple qui manquait totalement de lyrisme, n’aspirait qu’à des conquêtes et ne vénérait que la force prétorienne, l’art dramatique n’eut aucun intérêt. Les « héros », plus féroces les uns que les autres, ne manquaient pas pour alimenter la tragédie, mais celle-ci se traduisait en action, l’art des poètes lui était inutile. Les plus beaux vers d’Eschyle ne valurent jamais un combat de gladiateurs où l’empereur lui-même égorgeait des victimes complaisantes. La comédie seule intéressa, non comme manifestation de l’esprit de l’élite, mais comme satire. Elle amusa la plèbe et les esclaves par l’étalage des ridicules des maîtres. Plaute, Térence, Cécilius, furent des esclaves avant de régner au théâtre. Quand la République eut fini, il n’y eut plus de Plaute et de Térence. Les Romains ne s’intéressèrent plus, en dehors des jeux sanglants du cirque, qu’aux pantomimes, aux danses, aux manifestations cabotines des empereurs. Néron mit alors le feu à Rome, pour se payer un « beau spectacle », et Héliogabale joua, nu, le rôle de Vénus ! La déesse hellénique dut en frémir de dégoût.

Faisons crédit à la tragédie romaine en constatant que les œuvres de ses Andronicus, Nevius, Ennius, Pacuvius, etc., dont on fait si grand cas par ouï-dire, n’existent plus et que nous ne pouvons en juger. Ovide aurait

écrit une Médée. Il ne reste que quelques tragédies de Sénèque. Elles sont plus littéraires que scéniques et entièrement d’inspiration grecque, comme tout ce qui a quelque grandeur dans la littérature romaine.

Le théâtre au moyen age. — Tant que la domination romaine demeura, le théâtre fut ce qu’il avait été dans l’antiquité, avec des époques d’activité et d’autres de stagnation, mais la sève dramatique était épuisée. On vécut sur les tragiques grecs. Des cuistres férus de latin tripatouillèrent Sénèque et des bateleurs accommodèrent Térence à l’usage des barbares du roi Chilpéric. Puis, ce fut le silence, la mort, comme pour toute pensée, jusqu’après l’an mil. Car on ne peut considérer comme les signes d’une véritable vie théâtrale les vagues documents qui sont restés de ce temps : une sorte de chronique dramatique d’un Ezéchiel dit « le tragique », une Vie de Moïse et un Christ souffrant attribués sans preuve à Jean Chrysostome, une Passion du Christ qui serait de Grégoire de Nazianze, un Querotus, type de misanthrope dans le genre de l’Aululaire, de Térence, et un Ocipus qui inaugurait la comédie allégorique dans une dispute entre la Goutte, la Douleur, un médecin et un chœur de goutteux. Entre les VI- siècle et Xe siècle se produisirent des pièces dramatiques de caractères divers ; on recherchait une voie. A partir du VIIe siècle on donna dans les églises d’Orient de pompeux spectacles, mais qui ne devinrent du théâtre que lorsque l’inspiration populaire l’emporta. Le Xe siècle eut le théâtre de Hroswita, religieuse de Gandersheim. On a vu, dans ce théâtre, écrit dans un couvent et peut-être représenté, la naissance du drame chrétien.

Quand, après l’an mil, le monde vit qu’il vivait toujours malgré les prédictions de la sorcellerie religieuse, il se reprit à respirer. Alors, la religion sortant des cryptes et des catacombes redevint spectaculeuse. La sève populaire, si longtemps endormie, se réveilla impétueusement. Le théâtre renaquit du culte chrétien comme il était né du culte païen. Les Évangiles, les légendes pieuses fournirent avec les chansons de geste, les romans d’aventures, les fableaux, cet extraordinaire grouillement de saints et nobles personnages mêlés familièrement à tous les suppôts de l’enfer, aux bourgeois, aux vilains et à la plus misérable humanité pour commenter, à l’occasion d’une aventure miraculeuse mise en action, la chronique de la cité, les histoires du château, les commérages de la ville, les heurs et malheurs du temps. Notre-Dame, généralement, jouait le principal rôle, intervenant dans les circonstances les plus curieuses et avec une pitié toute humaine, contrastant avec la sombre dureté monacale. L’esprit populaire, jovial et railleur, corrigeait la sévérité dogmatique. Le théâtre eut pour cadre la cathédrale. Il commença par le drame liturgique. Aux grandes fêtes celles de Noël et de Pâques, les prêtres ajoutèrent à l’office des scènes évangéliques mimées, ensuite dialoguées d’abord en latin, puis mélangées de langue vulgaire. Quand celle-ci remplaça complètement le latin dans la représentation évangélique, le théâtre sortit de l’église et s’installa sur son parvis. Cela se produisit au XIIe siècle.

Le premier que l’on connaît de ces drames fut celui d’Adam. L’humain se mélangea au divin. Dieu sortait de l’église pour prendre part à l’action au milieu du peuple. Il y rentrait après, enveloppé de vapeurs d’encens et escorté des bienheureux chantant des cantiques. Le diable surgissait d’un trou infernal pour séduire la femme et il s’y replongeait dans des fumées nauséabondes avec toute une diablerie poussant des hurlements sauvages. La poésie dramatique, le métier théâtral, commencèrent en France avec des œuvres comme le Saint-Nicolas, de Jean Bodel, et le Miracle de Théophile, de Rutebeuf, qui sont du XIIIe siècle. Le miracle fut le véritable drame de cette époque. Mélange de mys-