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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.2.djvu/30

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SCA
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indignation. Tout le monde est atteint, par conséquent tout le monde se raidit contre l’attaque… Il n’y a qu’à voir ce qui se produit, surtout dans une petite ville, quand quelque scandale moral vient d’être commis. On s’arrête dans la rue, on se retrouve aux endroits convenus pour parler de l’événement et on s’indigne en commun. De toutes ces impressions similaires qui s’échangent, de toutes les colères qui s’expriment, se dégage une colère unique, plus ou moins déterminée, suivant les cas, qui est celle de tout le monde sans être celle de personne en particulier. C’est la colère publique. » (Durkheim). Puis bientôt l’émotion se calme, la vie habituelle reprend son cours, les vieux errements sortent de l’épreuve confirmés.

Il en est tout autrement lorsqu’il s’agit d’atteintes moyennes et même minimes, prolongées, multipliées, ou fréquemment répétées. Au lieu de provoquer la répulsion, le scandale finit alors par prendre un attrait particulier. « Ici, il ne s’agit plus de l’attrait directement exercé par ce que l’on considère comme mauvais ou comme défendu, il s’agit du plaisir que l’on prend au fait même du scandale, de l’intérêt que l’on ressent à constater cet accroc à la conscience sociale, à assister au débat dramatique, tantôt plutôt comique, tantôt vraiment tragique, entre ceux qui ont transgressé la règle et ceux qui la défendent. » (G. Belot). Si nous nous rapportons à l’une des définitions du scandale qui l’envisage comme cause de diminution de foi, nous apercevons un paradoxe dans cette attirance du fait scandaleux. Alors que : « toute foi cherche ce qui peut la confirmer, évite ou méconnaît tout ce qui la contredirait ou l’infirmerait…, dans la recherche du scandale, il semble que nous allons au-devant du risque, que nous nous exposons plus ou moins volontairement au danger… pour nous croire en droit d’affirmer, nous essayons d’abord de nier et presque de nous renier nous-mêmes. » (G. B.).

Il arrive que l’épreuve tourne contre celui qui la tente qui souvent finit par perdre ses anciennes convictions, sans trouver une base suffisante pour en asseoir de nouvelles. Et si l’on considère l’effet d’ensemble, il n’y a plus seulement fléchissement de la personnalité, mais désagrégation de la société, corruption des mœurs. Pourquoi n’agirais-je pas aussi comme ceux qui ont donné l’exemple du mépris des conventions, surtout s’ils en ont tiré quelque profit matériel ? Et cela principalement lorsqu’il s’agit de médiocres délits, de légères dérogations à la morale, dont la répétition accoutume à la licence sans trop compromettre le lien social. Une suggestion lente, progressive, consciente cependant, diminue la confiance dans les normes usuelles, dérègle le comportement individuel et rend d’abord plus indécises les réactions collectives.

Dès que, sans devenir excessive, la violence du scandale s’accroît, ces réactions tendent à retrouver leur vigueur. Ceux qui sont fortement et obstinément scandalisés cherchent à détruire les causes, et souvent même les responsables, des attentats à la légalité. Mais « même vainqueurs, peuvent-ils sortir indemnes du conflit ? À être témoins, et témoins irrités, donc attentifs et « esveillés » de façons de sentir, de croire et d’agir opposées aux leurs, n’auront-ils pas vu leur esprit envahi par une foule de représentations qui tendront à l’acte à leur tour ? Ne seront-ils pas, dans quelque mesure, devenus autres, et semblables à ceux qu’ils ont d’abord réprouvés ?.. Voilà le second aspect du scandale et peut-être le plus important et le plus intéressant au point de vue moral et social. » (G. B). « Un conflit peut surgir, et il existe toujours virtuellement, entre l’affirmation spontanée et la négation réfléchie. Celle-ci « loge son ennemi avec elle », puisqu’elle exige en principe, la présence de son objet dans l’esprit. » (G. B.)

Et l’ennemi poursuit son cheminement à l’insu même de ceux qui le logent dans leur cerveau, dont l’attention est distraite, la défiance écartée par les besognes de la vie quotidienne. Dans les périodes de détente il reparaît sous la forme de suggestion, d’obsession même. Chose remarquable, chaque fois que le fait scandaleux initial se reproduit, ils résistent d’autant plus énergiquement que l’ennemi a un caractère plus agressif et qu’eux-mêmes sont plus atteints dans leur moral et plus près de rendre les armes. Ils affectent d’être d’autant plus fermes que leur volonté est plus chancelante.

Qu’un acte délictueux soit commis dans la rue : vol, voies de fait, qui s’attroupe ? Qui se passionne ? Qui injurie et frappe le coupable présumé ? Le riche bourgeois qui passe ? Non. C’est le pauvre hère mal assuré du lendemain. Est-ce à des sentiments généreux, à la pitié qu’obéit le premier ? Bien plutôt à l’indifférence : il ne se sent pas menacé dans ses biens ; sa fortune le garantit de la déchéance. Le second cède-t-il à quelque penchant cruel, à une sauvagerie native ? Non, il a peur, et l’origine de sa peur, c’est l’instabilité de sa condition, la perspective de la détresse qui le menace et le portera peut-être, un jour, aux actes qui le scandalisent maintenant. C’est au cauchemar qui l’obsède, au spectre de l’être déchu latent en lui qu’il montre le poing.


Nul n’a mieux mis en relief l’emprise et la progression du scandale qu’Anatole France, dans « Thaïs ». Après une jeunesse dissipée, Paphnuce s’est converti au christianisme. « Depuis dix ans qu’il s’était retiré loin des hommes, il ne bouillait plus dans la chaudière des délices charnelles, mais il macérait dans les baumes de la pénitence ». Or, un jour, dans sa retraite « il lui souvint d’avoir vu jadis au théâtre d’Alexandrie une comédienne d’une grande beauté, nommée Thaïs. Cette femme se montrait dans les jeux, et ne craignait pas de se livrer à des danses dont les mouvements, réglés avec trop d’habileté, rappelaient ceux des passions les plus horribles… Après quelques heures de méditation, l’image de Thaïs lui apparut avec une extrême netteté. » « Pénétré de douleur à la pensée qu’il y a dans Alexandrie une courtisane nommée Thaïs qui vit dans le péché et demeure pour le peuple un objet de scandale », il dit « j’irai trouver cette femme dans Alexandrie, et, avec le secours de Dieu, je la convertirai. » Chacun sait que la pensée de ce scandale ne cesse plus de hanter l’esprit du moine et comment il parvient à réaliser son dessein, comment il résiste à toutes les tentations, et que les violences des débauchés ou des marchands exploitant le vice, les objurgations ou les railleries de ses anciens amis ne font que renforcer sa volonté.

Cependant, si le scandale a pris fin, son souvenir continue à obséder Paphnuce, l’interprétation de ses manifestations subit seule quelques changements. « L’image de Thaïs ne le quittait ni le jour ni la nuit. Il ne la chassait point parce qu’il pensait encore qu’elle venait de Dieu et que c’était l’image d’une sainte. » Mais cette transfiguration n’est que passagère et bientôt c’est le fantôme lubrique de la courtisane qui occupe les rêveries et les songes du possédé. « Il ne lui restait plus de doutes : l’image de Thaïs était une image impure. » Dès lors, malgré les macérations, les dures épreuves auxquelles se soumet le malheureux, il ne tarde pas à succomber : « Fou, fou que j’étais de n’avoir pas possédé Thaïs quand il en était temps encore ! Fou d’avoir cru qu’il y avait au monde autre chose qu’elle ! Ô démence ! J’ai songé à Dieu, au salut de mon âme, à la vie éternelle, comme si tout cela comptait pour quelque chose quand on a vu Thaïs. »

Et le scandale produit des effets analogues lorsque au lieu d’exploiter le domaine de l’instinct, il s’atta-