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bourgeoise. Jusqu’à une époque assez rapprochée et, dans une certaine mesure encore maintenant, l’éducation bourgeoise est basée sur la contrainte : contrainte dans la tenue, dans le langage et même dans les distractions. L’établissement d’instruction, surtout s’il s’agit d’un internat, impose une discipline assez rigoureuse. Aussi, lorsque l’adolescent accède à l’enseignement supérieur, qui souvent l’éloigne de sa famille, et toujours lui laisse une certaine liberté, il s’empresse d’en user et même d’en abuser. Suivant ses tendances propres, souvent au hasard des camaraderies, il s’agrège à un groupe, et la générosité du caractère, la fougue naturelle à cet âge le conduisent à adopter de confiance les principes qui ont présidé à la formation du groupe, à en observer les rites, à les exagérer. Si le clan est révolutionnaire, il sera au nombre des plus ardents, des plus audacieux dans l’action (sans qu’il se l’avoue à lui-même, il sent bien qu’il a une position de repli).

Une fois en possession d’une situation, dans l’administration, dans l’industrie ou toute autre profession libérale, le jeune bourgeois en voie d’émancipation est arrêté par de nombreux obstacles. Les uns viennent du dehors, réglementations administratives ou patronales, esprit de corps, action des parents directs ou par alliance. « D’autres viennent de notre constitution même, qui comporte des tendances contradictoires. Nous puisons alors dans les règles constituant les obstacles du premier ordre les raisons de favoriser tantôt les unes, tantôt les autres. » (Sollier).

La plupart subissent passivement ces nouvelles contraintes et deviennent indifférents à toute action sociale. D’autres, surtout des littérateurs en quête de renommée ou d’honneurs académiques, se rangent de nouveau sous la houlette de leurs anciens pasteurs, et sont les adversaires les plus acharnés des doctrines qui les avaient séduits un instant. Ces déviations doivent nous mettre en garde contre les excès de parole, les manifestations tapageuses qui tendent à provoquer le scandale et aboutissent à détourner la classe ouvrière de l’œuvre indispensable d’organisation syndicale, coopérative et également civique.

L’idée fait lentement son chemin, mais elle tient solidement le terrain conquis. Pour qu’elle s’implante dans le cerveau, il faut à la fois l’aide patiente d’un initiateur et un effort personnel, ce qui tient à l’écart les versatiles et les impulsifs, qui portent le désordre dans le mouvement social. — G. Goujon.


SCEPTICISME n. m. Tirés du verbe grec qui signifie examiner, les mots scepticisme et sceptique sont relativement récents. Le plus grand des sceptiques français, Montaigne, les ignore. Pascal aussi. Pourtant le célèbre suisse François de Bonivard (1493-1570), un peu plus ancien que Montaigne, avait déjà employé exceptionnellement le mot « sceptique ». Mais on disait d’ordinaire, et Bayle dit encore, pyrrhonien et pyrrhonisme.

Ce que l’on appelait le pyrrhonisme, ce que nous appelons le scepticisme, s’oppose au dogmatisme et Pyrrhon est peut-être, en effet, le premier qui ait, si l’on ose dire, professé un antidogmatisme universel et absolu. Il ne faut pourtant pas oublier qu’il avait été précédé par Protagoras et par tout le mouvement de la sophistique. La raison — disent à peu près Pyrrhon dans Diogène Laërce et son disciple Sextus Empiricus dans son livre Contre les mathématiciens — est souvent trompeuse. Nous ne pouvons nous fier à elle que si elle établit les titres de sa véracité. Où les chercherait-elle, sinon en elle-même ? Accepter la raison conme garant de la raison, c’est consentir à un cercle vicieux. Et Montaigne, sous une forme plus piquante (Essais, liv. maj, ch. 12) : « Pour juger des apparences que nous recevons des sujets (sujet est, à cette

époque, à peu près synonyme d’objet dans la philosophie moderne) il nous faudrait un instrument judicatoire ; pour vérifier cet instrument, il nous faut de la démonstration ; pour vérifier la démonstration, un instrument : nous voilà au rouet. Puisque les sens ne peuvent arrêter notre dispute, étant pleins eux-mêmes d’incertitude, il faut que ce soit la raison ; aucune raison ne s’établira sans une autre raison : nous voilà à reculons jusques à l’infini. »

Descartes, si dogmatique à l’ordinaire, mais qui appuie naïvement son dogmatisme sur la véracité de Dieu, soupçonne, quelque part, que ce Dieu pourrait être un mauvais génie « qui emploie toute son industrie à tromper les hommes ». À dégager sa pensée de toute gangue théologique, il se demande si la raison n’est pas le jouet d’une illusion perpétuelle. Qui répondra, sinon la raison ? Ainsi ma raison ne peut établir sa véracité qu’à condition que je consente à supposer sa véracité. Le cercle vicieux est bien fermé. Aussi Bayle (Dictionnaire historique et critique, art. Pyrrhon), constate : « Il est impossible, je ne dirai pas de convaincre un sceptique, mais de raisonner juste contre lui, n’étant pas possible de lui opposer aucune preuve qui ne soit un sophisme, le plus grossier de tous, je veux dire la pétition de principe. En effet, il n’y a point de preuve qui puisse conclure, qu’en supposant que tout ce qui est évident est véritable, c’est-à-dire qu’en supposant ce qui est en question. »

Kant remarque que, dès que, franchissant les limites de l’expérience, je veux savoir, sur l’univers, quoi que ce soit d’absolu, ou je ne trouve rien d’absolu, ou je dépasse les limites de mon intelligence qui ne sait atteindre que les phénomènes. Je puis, par des arguments également forts ou plutôt également faibles, soutenir, par exemple, que l’univers a commencé ou qu’il est éternel ; qu’il est infini ou qu’il est limité. Je dis ces arguments d’une faiblesse égale, car on ne démontre la thèse qu’en réfutant l’antithèse ou l’antithèse qu’en réfutant la thèse. Travail également facile, car non seulement l’une s’oppose à l’autre, mais la thèse comme l’antithèse contiennent une contradiction interne. Notre raison semble exiger que nous choisissons entre le oui et le non ; mais, que nous examinions critiquement le oui ou le non, nous les trouvons impossibles l’un et l’autre.

Refuges : le positivisme, le refus d’étudier des questions insolubles ; ou la poésie, le consentement souriant à une ou plusieurs métaphysiques désarmées du venin de l’affirmation. Dès que je veux du solide, je m’écarte de toute métaphysique et je répète avec Montaigne : « Ni comme ceci, ni comme cela, ni autrement. » Mais, si j’ai du goût pour les métaphysiques, je les purge les unes et les autres de toutes affirmations et, consentant dans un rire à la pétition de principe sur quoi s’appuie chaque philosophie, je rêve joyeusement : « Comme ceci, comme cela et de mille autres façons encore. » — Han Ryner.

SCEPTICISME n. m. On donne parfois le nom de scepticisme à la négation de certains dogmes religieux et de certaines doctrines morales ou philosophiques. C’est une confusion de mots et d’idées. Nier positivement, être fermement persuadé par exemple que dieu n’existe point, ce n’est pas douter ; c’est affirmer, au contraire, et d’une façon très catégorique. Au sens rigoureux du terme, le scepticisme est l’opposé du dogmatisme. L’esprit humain, dans sa naïveté première, donne à ses concepts une valeur absolue ; spontanément il s’élance vers les choses, persuadé qu’il peut les saisir en elles-mêmes et les expliquer aisément. Puis il constate qu’il est sujet à des erreurs et à des contradictions fréquentes ; il s’interroge sur leur origine, fait un retour sur lui-même et se prend à douter que la raison soit capable de nous mettre en possession de la vérité. A la