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répondra, timide, hésitant, qu’il ne sait presque rien, ou si peu qu’il n’ose en parler ; il dira que, s’il lui est permis d’être affirmatif, c’est uniquement sur quelques certitudes définitivement acquises en certaines matières ; il déclarera que les certitudes à acquérir et, après contrôle sérieux et vérification concluante, à enregistrer comme désormais indéniables, sont infiniment plus nombreuses que celles qui sont déjà acquises.

L’affirmation de tous, précise, assurée, hors de doute, sera que le domaine du connu, du certain, du prouvé, de l’établi est encore excessivement restreint, alors que sont d’une incommensurable étendue les régions à explorer, constituant le domaine de l’ignoré,

Et tous déclareront aussi qu’il n’y a pas de Vérité unique, totale, absolue, qu’en d’autres termes et pour parler net et précis, la Vérité (au singulier et avec majuscule) n’existe pas en soi et concrètement, qu’elle n’existe que comme terme abstrait tendant à grouper ce qui est Vrai, à le distinguer de ce qui n’est pas vrai, à l’opposer à ce qui est faux, inexact, erroné, bref, à exprimer, par un mot qui totalise et condense, la somme des vérités progressivement connues et démontrées (voir Trinité : le Vrai, le Juste, le Beau).

Composé de toutes les sommités de la pensée, réunissant tout ce que les siècles écoulés ont produit et tout ce que les temps présents comptent de lumières éclatantes, ce cénacle confessera modestement que, sur les origines du Monde, sur les fins auxquelles il tend, sur les formidables problèmes de causalité et de finalité, sur ce qu’on a coutume d’appeler avec justesse « les énigmes de l’Univers », on ne sait rien de positif, de certain, d’irréfragable et que, vraisemblablement, ces problèmes resteront toujours enveloppés d’une certaine obscurité et incertitude.


L’Église catholique, elle, n’a pas cette modestie. (Il est juste d’étendre cette critique à toutes les Églises, puisque toutes ont cette folie de se prétendre en possession de la Vérité fondamentale et définitive et chacune s’évertue à persuader que se trompent ou mentent les Églises rivales). L’Église catholique, elle, se croit, pour le moins elle se dit dépositaire et gardienne d’une Révélation à la fois si complète et si précise, qu’elle n’hésite pas à se proclamer en possession de la Vérité souveraine qui embrasse la totalité des domaines et dans chaque domaine, la totalité des problèmes qu’il soulève ; de cette Vérité qui, sachant tout, n’ignorant rien, ne connaît pas l’hésitation, est étrangère au doute et procède par voie d’assertion nette, tranchante, catégorique ; de cette Vérité qui, projetant partout ses éblouissants rayons, ne laisse dans l’ombre aucune parcelle du terrain et porte la clarté jusqu’au sein des ténèbres les plus épaisses ; de cette Vérité qui est à tel point sure d’elle même, qu’elle ne peut tolérer aucun démenti et que le simple doute lui est une mortelle offense passible des plus rudes châtiments ; de cette Vérité qui, pour tout dire, venant de Dieu lui-même est, ainsi que lui, éternelle et immuable.

Telle est la Vérité dont l’Église se targue d’avoir reçu la révélation et qu’elle se dit chargée de révéler à son tour.


Et, maintenant, entrez dans cette chaumière ; prenez ce jeune garçon à la figure insignifiante et béate ; envoyez-le passer quelques années au petit séminaire ; il y apprendra les éléments de la grammaire et du calcul ; on lui enseignera la lecture et l’écriture ; on le bourrera de catéchisme, on le farcira d’histoire sainte et on le truffera d’un patois latinisant. Sortez-le de ce petit séminaire où il a fait son temps et s’est quelque peu dégrossi ; et envoyez-le au grand séminaire, après lui avoir laissé entrevoir qu’il y est appelé par une vocation irrésistible et après lui avoir fait comprendre que le métier de curé nourrit convenable-

ment son homme et ne l’accable pas de fatigue. Quand il en sortira avec la soutane et la tonsure, quand il aura suffisamment appris à lire son bréviaire, quand il se sera convenablement exercé à bredouiller à peu près distinctement quelques oremus, à lever deux ou trois doigts de la main droite pour bénir ; quand il se sera décemment préparé, par une lecture attentive du « Manuel du Confesseur » à recevoir les vieilles et jeunes dévotes qui se présenteront à son confessionnal, enfin quand il saura dire la messe et quand il aura été ordonné prêtre, ce gamin de vingt-cinq ans enseignera, sans sourciller les Vérités Éternelles et, quoique d’une ignorance, en dehors des choses de la foi, à faire honte à un simple bachelier, il parlera, de haut, avec aplomb, d’un accent pénétré, exprimant la certitude absolue de la Vérité, sur les problèmes les plus ardus et les questions les plus inaccessibles à la raison humaine.

Ce serait à mourir de rire, tellement ce personnage est ridicule et grotesque, si ce n’était pas triste à en pleurer. Car s’il est lamentable de constater que plusieurs milliards — oui, plusieurs milliards — d’êtres humains, que la nature avait cependant doués de compréhension et de jugement, ont renoncé dans le passé à faire usage de ces nobles et précieuses facultés afin de ne pas s’exposer à la tentation de perdre la foi, il est plus douloureux encore d’avoir à observer que, par dizaines et, peut-être, par centaines de millions, au vingtième siècle, des êtres qui ne sont dépourvus ni d’intelligence, ni de raison, abdiquent tout recours aux lumières de celles-ci et, sans chercher à comprendre, admettent inconsidérément, lâchement, idiotement, les sornettes et élucubrations qui leur sont enseignées par l’Église comme Vérités évidentes et intangibles.

Que ne vient-il à la pensée de ces croyants que, si dieu existe, c’est lui qui les a créés comme il l’a voulu, que s’il les a créés et les a dotés de certaines facultés, c’est qu’il a prévu qu’ils en auraient besoin et veut qu’ils en fassent usage ; que ne pas se servir de ces facultés, c’est méconnaître le prix de ces dons de dieu, se montrer ingrat envers lui et lui faire offense ?

Si l’Église disait à ces gens-là de ne pas se servir de leurs mains, si le curé leur interdisait de faire usage de leurs jambes, obéiraient-ils au curé, se soumettraient-ils à l’Église ? Se condamneraient-ils, sorte de paralytiques volontaires, à l’immobilité de leurs bras et de leurs jambes ? Je ne le présume point. Et je me demande par quelle inconcevable stupidité ces mêmes gens se laissent convaincre — mutilés par persuasion — qu’ils doivent renoncer à l’usage de leur entendement et de leur raison.

Pauvres estropiés de cervelle ! Comme vous seriez à plaindre, si vous ne cédiez pas à une paresse ou lâcheté d’esprit criminelles, et si ce renoncement à l’usage de vos facultés intellectuelles avait au moins l’excuse d’être pur et désintéressé, au lieu de tendre à éviter l’Enfer et à gagner le Ciel ! — Sébastien Faure.


VERTU et VICE Ces deux notions sont étroitement liées à celle du bien et du mal et, par conséquent, dépendantes de la morale. On peut prendre une attitude négative vis-à-vis de celle-ci, nier l’existence objective du bien et du mal, et conséquemment celle de la vertu et du vice, mais si ces notions sont en elles-mêmes discutables, il est impossible d’en nier les effets sur le comportement des humains et même sur les êtres vivants fortement organisés. Partout où il y a vie et sensibilité s’impose la perception et la connaissance plus ou moins obscure du bien et du mal. Avec l’être humain doué d’une vaste mémoire et de la faculté de conserver, de transmettre et d’échanger ses impressions, apparaît un fait nouveau : la tradition. Nous