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de la vie humaine contre ceux qui y attentent, tout meurtre doit s’appeler assassinat et tout assassinat individuel ou collectif, est un crime.

Ce principe nous fait condamner toute guerre de peuple à peuple, même défensive.

La défense nationale par la guerre a pour résultat, non de sauvegarder les existences les plus précieuses, mais, au contraire, d’accroître le nombre des victimes innocentes. La guerre multiplie les injustices et ne saurait s’identifier avec la défense du droit.

En ce qui concerne la guerre civile, le problème est, certes, plus complexe.

La formule de Russell : « Pas un seul des maux qu’on entend empêcher par la guerre n’est un mal aussi grand que la guerre elle-même », ne saurait s’appliquer, dans tous les cas, à la guerre civile.

Mais pourtant, il nous semble que pour être conséquent avec lui-même, un pacifiste complet doit répudier le meurtre organisé, même comme moyen de solution des conflits sociaux.

Il ne s’agit nullement, ici, de considérer comme suffisantes, pour abolir ou diminuer le mal social, les armes purement spirituelles : propagande, persuasion, force de l’exemple, puissance de l’amour. La contrainte est nécessaire, mais ceux pour qui la vie humaine est sacrée, doivent employer les méthodes de contrainte non-violentes, ou tout au moins non sanglantes.

Nous savons que l’affranchissement des travailleurs ne peut être réalisé que par leur effort autonome, et que, seule, l’action de classe, la solidarité de classe, permettra de réaliser une société sans classes. Mais il y a, comme nous le fait remarquer Rappoport dans son ouvrage sur la Révolution Sociale, une loi historique de violence décroissante et de conscience croissante, selon laquelle, plus le prolétariat développe sa cohésion et sa vraie force, moins il a besoin d’user de la violence sanglante.

La grève ouvrière, par exemple (partielle ou générale) est, dans son essence, sinon dans ses conséquences, un mode pacifique de lutte.

Il nous semble que le révolutionnaire pacifique, qu’il ait comme idéal une société anarchiste ou une démocratie sociale complète, ne devra repousser aucun des moyens, légaux ou illégaux, pouvant contribuer à éviter ou à réduire la violence meurtrière : action politique, action syndicale, perfectionnement des institutions démocratiques, grève, résistance dite passive, désobéissance civile, non coopération, toutes ces armes peuvent être utilisées. Il faut avoir la volonté de donner leur plein rendement aux formes non sanglantes, non meurtrières de lutte et de coercition. C’est seulement à cette condition que la résistance par la force à la violence non provoquée, peut avoir un caractère strictement défensif.

Une étude impartiale de l’histoire nous montre que les progrès durables sont entravés et non hâtés par la violence meurtrière. Le régime terroriste de 93, loin de servir l’idée révolutionnaire, n’a fait que compromettre la cause des droits de l’Homme.

Cet exemple atteste qu’un gouvernement, un régime même, n’a pas le droit de se maintenir à tout prix.

Aucune considération de soi-disant intérêt public ne saurait donner à quelques dirigeants un droit de vie et de mort sur les dirigés.

Nous entendons condamner ici, non seulement la peine de mort, surtout pour motif politique, mais encore tout usage d’armes par la force publique, qui ne soit pas directement nécessitée par la protection même de la vie humaine.

Certes, en ce qui concerne l’idée de dictature républicaine ou prolétarienne, une distinction est à faire : un ensemble de mesures dictatoriales contre la résistance des privilégiés, une période de vacances de la légalité ne saurait être confondues avec la terreur. Ce peut

même être un moyen indispensable pour arrêter ou prévenir des troubles sanglants.

Répétons donc que nous ne prêchons ni au peuple, ni aux nations, ni même aux gouvernements, la faiblesse. Mais nous voulons la force sans le meurtre.

Ni réformisme, ni modérantisme, ni légalisme, ni tolstoïsme, ne sont impliqués dans l’attitude anti-violente.

Mais nous affirmons notre culte de la vie humaine, nous proclamons sans réserve le droit à la vie, et nous nions le droit au meurtre.

Tuer pour ne pas se laisser tuer peut être une nécessité, si l’on ne dispose d’aucun autre moyen de défense. Mais détruire en masse des vies humaines pour protéger l’indépendance d’un pays, pour maintenir un gouvernement au pouvoir, ou pour le renverser et imposer par la force la domination d’une minorité, ou pour mettre fin à une protestation populaire, cela n’est pas le prolongement de la défense légitime ; c’est la violation du devoir primordial de respect de la vie. Le devoir s’impose autant aux détenteurs du pouvoir, aux juges, aux agents de la force publique et aux chefs des mouvements d’opposition, qu’aux simples mortels. Ce devoir limite, à la fois, les droits de tout gouvernement établi et le droit de résistance à l’oppression.

Si on se place au point de vue vraiment chrétien, c’est-à-dire conforme à la morale de l’Évangile, on condamnera tout acte contraire à l’amour du prochain. Au point de vue individualiste, on répudiera l’immolation des individus à des fins collectives quelconques,

Au point de vue utilitaire, on constatera les résultats presque toujours décevants, presque toujours nuisibles à l’intérêt commun, de la violence meurtrière. La vraie conscience de classe nous amènera il éviter de faire verser le sang prolétarien.

Le libre-penseur rationalisera, dénoncera l’absurde thèse catholique du libre-arbitre ; si diverses que puissent être ses vues sur le problème du déterminisme et de la liberté morale, il tiendra compte des influences physiques héréditaires et sociales qui conditionnent les actes de chacun et sera affranchi de toute haine et de tout désir de vengeance.

Aucun principe moral n’a une importance plus primordiale, une valeur rationnelle plus effective, un caractère plus universel que le principe : « Tu ne tueras pas. »

Et, sur le plan social, moins la route est bordée de tombeaux, plus vite elle conduit au bonheur commun et à la justice. — René Valfort.


VIOLENCE (Réflexions sur la). Georges Sorel est l’auteur d’un livre qui porte ce titre : « Réflexions sur la Violence ». La parution de ce livre fit un bruit considérable. Dans les milieux qui s’intéressent à la thèse de la violence révolutionnaire ou de la non-violence, l’œuvre de Georges Sorel provoqua une vive curiosité et suscita d’ardentes controverses. La Revue Anarchiste de novembre 1922 a publié, sous la signature de notre excellent collaborateur, le Docteur F. Elosu, une remarquable critique de la thèse développée par Georges Sorel considéré comme l’apologiste et le théoricien de la violence révolutionnaire.

Nous reproduisons ici cette critique et nous la faisons suivre de la réponse que lui fit Sébastien Faure, dans le même numéro de la Revue Anarchiste. Le lecteur connaîtra, de la sorte, les deux aspects de la question.

Voici d’abord l’article de F. Elosu, intitulé : « Georges Sorel et la violence ».


Si, d’habitude, les morts vont vite, Georges Sorel fait exception il la règle générale ; et les fascistes italiens attestent la survivance de ses enseignements, dont ils se réclament pour la justification de leur activité brutale et meurtrière. Il n’est donc pas trop tard pour expo-