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et maître Iahvé, dont il se proclamait, avec superbe, le « peuple élu ». Impies, abominablement sacrilèges devenaient tous les autres peuples refusant de s’incliner devant la divinité juive, la seule qui eût droit de cité ! Lui seul, peuple juif, méritait de vivre, de grandir, de rayonner avec éclat sur l’Univers entier !

Est-il besoin d’ajouter que, par un juste retour des choses, par l’application de même principe, la manifestation d’un sentiment identique, le juif s’attirait tout le mépris, toute la haine des autres peuples qui, également pénétrés de cette idée aussi fausse qu’absurde d’être, eux aussi, des « peuples élus », ne pouvaient accepter cette impardonnable injure d’être jugés inférieurs !

On arrive ainsi à ce résultat assez inattendu que lorsqu’un peuple, une nation, affirme – sans d’ailleurs jamais être en mesure d’en administrer des preuves de nature à emporter la conviction – lorsqu’une nation affirme sa supériorité sur le peuple voisin, celui-ci, pour ne pas être en reste, émet la même prétention, de telle sorte que, au total, ces deux « supériorités » aboutissent en fait, tout simplement à deux « égalités » où l’on retrouve les mêmes beautés mais aussi les mêmes laideurs, la même loyauté en même temps que la même perfidie, un égal amour de la justice, mais également un même penchant pour la turpitude, en un mot tout ce qui constitue, d’une manière générale, dans tous les lieux et sous tous les climats, la pauvre nature humaine !

De même que l’individu ne veut pas mourir, qu’en lui subsiste la passion, pour ainsi dire instinctive, de durer éternellement, de même les peuples, les nations, les patries ne sauraient admettre qu’elles sont fatalement appelées à disparaître. Non seulement nul événement, aucune catastrophe ne pourrait mettre un terme à leur existence, mais encore la primauté doit leur être accordée en toute chose. Chaque collectivité, chaque groupe humain se croît, sinon le seul groupe existant, du moins le seul qui soit digne d’intérêt, le seul à mériter honneurs et joies ! Attribuant au petit coin de terre qu’il occupe une valeur particulière, il est tout naturellement porté à considérer comme nettement inférieures les contrées qu’il ne connaît pas, avec lesquelles, en tout cas, il n’a rien de commun. Et c’est ainsi que certains hommes en viennent à glorifier le mal fait par leurs « glorieux ancêtres », à magnifier, à exalter les crimes, les massacres perpétrés par « la fière et courageuse Nation » à laquelle ils s’honorent d’appartenir ! Piller, tuer l’ennemi, « l’étranger », devient, pour le xénophobe, une œuvre méritoire puisque, non content des anciennes tueries, il en prépare joyeusement de nouvelles !

La France des Poincaré, des Doumergue, des Barthou, la France des Puissances d’argent qui mettent le pays au pillage, d’une presse dont la vénalité et la corruption ne sont à nulles autres pareilles, continue de se croire la « Grande Nation ». De même l’Allemagne, après les crimes inexpiables du tortionnaire Hitler auquel elle s’est lâchement soumise, se déclare toujours la première par la puissance de son génie et la générosité autant que l’élévation de ses pensées ! Et si la Chine est « la grande aïeule », la « nation immortelle », le Japon, n’ayant pas davantage le sens du ridicule, s’érige en Empire du « Soleil Levant », empire dont la mission la plus urgente et la moins contestable est d’étendre sa « bienfaisante hégémonie » sur le monde entier.

Routine, antiques survivances, conventions traditionnelles, telles sont les sources malsaines, empoisonneuses auxquelles s’alimente surtout la xénophobie. Ajoutons-y le sentiment de cette vanité qui est, encore hélas ! le peu enviable privilège de tant d’individus ! On pourrait admettre, à la rigueur, que le « patriote » voue à « sa patrie » un culte ardent fait exclusivement d’amour, de dévouement et de fidélité. Mais pourquoi faut-il que d’aussi belles vertus s’accompagnent d’une haine farouche autant qu’irraisonnée pour tout ce qui n’est point compris dans le territoire fermé dont notre « patriote » a dû faire sa demeure ?…

Certes, une véritable révolution de la pensée sera, sans doute, nécessaire pour transformer une mentalité aussi exécrable. Tenaces, en effet, sont les préjugés à vaincre. Toutefois, nous pouvons d’ores et déjà enregistrer cette réconfortante constatation que les haines nationales s’atténuent en dépit des efforts désespérés des nationalistes et xénophobes de tout acabit qui, d’ailleurs, ne retient, le plus souvent, des rivalités entre les peuples, que profits et larges prébendes !

Si l’on se hait encore de frontière à frontière – et l’on sait combien de facteurs (éducation, famille, presse, religion, etc.) concourent à entretenir cette passion criminelle, – les chaînes qui rattachent l’individu au sol natal sont de plus en plus fragiles ; les frontières, toujours plus instables, disparaissent en maints endroits, en l’attente du jour où leur existence aura pris fin, tandis qu’un puissant courant de sympathie mutuelle et de fraternelle entr’aide, déterminé par la claire notion des intérêts communs aux travailleurs de toutes les nations, entraîne irrésistiblement l’Humanité vers la création d’une seule et immense patrie que formeront tous les hommes devenus libres et indépendants en même temps que plus aimants et plus solidaires ! — A. Blicq.