poraires et des services de second ordre. Au-dessous, la foule des « capitaines » et des « lieutenants » en charge des postes (ou localités consistant en un ou plusieurs villages, en une ville ou partie d’une ville), ou encore dirigeant des œuvres sociales de toutes sortes, ou enfin aidant dans leurs besognes les officiers des grades supérieurs. Il va sans dire que, comme la prédication, tous les grades sont accessibles aux femmes autant qu’aux hommes. Cette égalité des deux sexes, surtout dans la prédication, fut une des raisons qui, à l’origine, souleva l’opinion religieuse contre l’Armée du Salut.
Tous ces officiers se consacrent entièrement à l’œuvre de l’Armée, à laquelle ils doivent un minimum de travail quotidien de neuf heures. Selon l’état des finances de leur organisation dans les différents pays où elle opère, ils reçoivent un salaire qui leur permet de vivre mais pas plus. D’ailleurs, en entrant, ils s’engagent à ne faire aucune réclamation contre l’Armée du Salut ou contre qui que ce soit s’ils ne reçoivent aucun salaire comprenant qu’aucune solde ne leur est garantie. (Il convient de rappeler qu’un ami leur ayant fait une rente viagère, William et Catherine Booth n’eurent point à recourir aux fonds de l’Armée du Salut pour leur entretien personnel.) Ils renoncent à l’usage des boisons alcooliques et du tabac, au port de toute bijouterie. On ne saurait contester la foi, la conviction souvent naïve des officiers inférieurs, dépourvus en général de tout sens critique. Leur sincérité ne saurait être mise en doute, pions qu’ils sont sur un vaste échiquier où ils accomplissent une œuvre qui les dépasse. Dans certains pays orientaux comme les Indes, la Chine, le Japon, etc., les officiers, même européens, se vêtent comme les indigènes et s’astreignent à leur nourriture. Notons, en passant, que, pour le moment, la Russie soviétique ne tolère pas chez elle l’Armée du Salut.
Mais il n’y a pas que les officiers et les officières. Il y a des « soldats » et des « soldates » dont l’activité multiple est contrôlée par des officiers locaux ou sous-officiers : sergents-majors, sergents, caporaux, trésoriers, secrétaires, etc. qui continuent à travailler au bureau, à l’atelier, à l’usine. Ils sont la masse, le gros de l’Armée, recrutés en général dans les milieux les plus humbles, attirés par les allures bizarres ou la renommée de l’organisation. Ils sont les « venus à Jésus », les « convertis » qui se sont découverts un jour l’âme « noire », « remplie de péchés » et que le sang de l’agneau a « lavés ». Ce sont eux qui vendent dans les rues et à la terrasse des cafés le War Cry, le Cri de Guerre, l’En avant, constituent les fanfares, parlent aux prostituées, catéchisent les ivrognes et les débauchés, rendent « témoignage » dans les réunions publiques, c’est-à-dire racontent comment le Seigneur s’est « révélé » à eux, versent la dîme ou font les différentes collectes qui permettent à l’œuvre de subsister.
Un beau jour, les plus jeunes d’entre eux se sentent appelés à leur tour à se consacrer entièrement « à Dieu dans les rangs de l’Armée ». Le quartier général de leur pays examine leur candidature, soumise au préalable au chef du poste dont ils dépendent. Si l’examen est favorable, ils entrent en une espèce de séminaire dénommé « école militaire », à titre de « cadets » ou « cadettes », où ils séjournent peu de mois, au cours desquels on juge de leurs aptitudes aux fonctions d’officiers. S’ils sont agréés, promus au grade de cadet-lieutenant ou de lieutenant, ils s’en vont à leur destin, très souvent pour débuter dans quelque poste lointain dont le « capitaine » a perdu de son enthousiasme primitif, où les réunions sont peu fréquentées, où l’on a peine à boucler le budget, dans quelque Œuvre sociale ingrate, peut-être dans quelque obscure besogne bureaucratique, etc… Une sélection s’opère : les plus aptes, les mieux doués, comme partout, gravissent plus ou moins
Quant à ceux qui ne sont pas reçus on les ajourne le plus souvent, parfois on les refuse définitivement. Dans l’un ou l’autre cas, ils rentrent dans le rang, à moins qu’ils ne quittent l’organisation.
Un grand nombre d’officiers eux-mêmes — et non des moindres — ont quitté l’Armée du Salut. Les uns parce qu’ils n’ont pas pu s’accommoder, en fin de compte, de la dictature du Quartier Général ; les autres parce qu’ils avaient perdu la foi ou qu’ils étaient en désaccord avec les doctrines prêchées par l’Armée ; certains démissionnèrent enfin, parce qu’ils comprirent que l’organisation à laquelle ils appartenaient constituait une force redoutable de conservation sociale et morale, et que cela seul justifiait la considération dont elle jouit parmi les classes nanties des biens de ce monde. Parmi ceux qui se rebellèrent contre l’absolutisme du sommet, rappelons deux des enfants du Général Ballington-Booth, qui créa l’Armée des Volontaires aux États-Unis, et la Maréchale (Mme Booth-Clibborn), qui finit par entreprendre une œuvre d’évangélisation à son compte. D’ailleurs, si, à la mort de William Booth, on accepta la clause des Ordres et Règlements qui laisse au général la désignation de son successeur, en l’occurence, son fils aîné Bramwell Booth ; en revanche, lorsque celui-ci fut près de sa fin, il y a deux ans, un conseil de Commissaires le destitua contre sa volonté et, sans se soucier de son opinion, nomma Général à sa place un des leurs : le Commissaire Higgins. Cette substitution, qui reléguait à l’arrière-plan la dynastie des Booth, ne s’accomplit pas sans des scènes qui n’offraient rien d’évangélique.
Comme toute congrégation religieuse qui se respecte, surtout quand elle est organisée militairement, l’Armée du Salut possède ses Monita Secreta, sous la forme d’Ordres et Règlements pour les officiers. C’est un document peu connu, bien que, originairement, édité en anglais, il ait été traduit en plusieurs langues. À la vérité, il n’a rien de secret, puisque les officiers qui démissionnent de l’Armée ou en sont exclus peuvent le conserver. Une fois acquis, il demeure leur propriété. Ce volume définit ce que doivent être l’officier et son activité. C’est un véritable manuel de vie pratique qui vise à faire de celui qui le prend à cœur un « parfait » salutiste : il embrasse toutes les circonstances de la vie publique et privée de l’officier, lui indique comment résoudre les difficultés qu’il peut rencontrer dans sa carrière, lui inculque une profonde confiance en l’organisation à laquelle il a promis de se consacrer jusqu’à la fin de ses jours. L’Armée du Salut doit devenir, pour l’officier, une société mise à part par Dieu dans la grande société humaine, et il n’est rien dans le monde qu’on puisse placer au-dessus de son intérêt. Aussi, avant d’accomplir un acte, l’officier devra-t-il se demander s’il est ou non dans l’intérêt de l’Armée, s’il lui portera ou non préjudice de quelque manière que ce soit.
Sans doute, l’officier doit être un saint, c’est-à-dire être délivré de toute manifestation extérieure du péché, y compris l’esprit de légèreté ; sans doute il doit être convaincu qu’il est un instrument choisi par Dieu pour le relèvement et le salut des pécheurs ; mais cela ne doit pas lui faire perdre de vue les intérêts pratiques de l’Armée : il doit être en même temps « vrai soldat » et « homme d’affaires »,
Parmi les choses dont l’officier doit être convaincu, notons l’obéissance, qui est « un des principes essentiels de tout gouvernement » (O. et R., I, II, 7. Ed. 1892) ; le plan de Dieu qui a toujours été de « gouverner les hommes par l’entremise des individus » (O. et R., II, I, 2) ; la vraie discipline qui comprend : « a) l’habitude pour tous d’obéir sans discuter ; b) la découverte de ceux qui sont désobéissants ; c) la réhabilitation de