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la serviette qu’il ne faut pas mêler aux torchons. C’est lui que La Bruyère dépeignait, lorsqu’il écrivait dans ses Caractères, au chapitre des « Grands », ceci : « C’est déjà trop d’avoir avec le peuple une même religion et un même dieu ; quel moyen encore de s’appeler Pierre, Jean, Jacques, comme le marchand ou le laboureur ? Évitons d’avoir rien de commun avec la multitude ; affectons au contraire toutes les distinctions qui nous en séparent. » Les « Grands » prenaient les noms d’Achille, d’Hercule, d’Annibal, si mal fichus ou si foireux qu’ils fussent. Le snobisme démocratique a répandu cette sottise chez les femmes d’aujourd’hui qui troquent leurs prénoms roturiers, Marie, Louise, Catherine, contre ceux plus distingués de Mary, Loyse, Ketty. Le snobisme féminin cherche ses élégances non dans le sentiment et la grâce, mais dans les takolonneries dont il se farde des pieds à la tête. Il se fait griller la peau au soleil, ou se la fait peindre et tatouer pour des exhibitions grotesques. Le sentiment et la grâce ne sont pour lui qu’une question de « sexappeal » et il justifie ainsi le mot de Flaubert disant que « les femmes prennent leur cul pour leur cœur ».

Le snobisme a été dans tous les temps le décor, l’ornement des convenances sociales, ces convenances « si utiles pour faire tenir debout les pourritures », a dit encore Flaubert. Toutes les affectations aristocratiques grossièrement singées par les imbéciles ont été du snobisme. Le nom de Pétrone est demeuré pour représenter, en le « plutarquisant », celui d’une époque, celle de l’empire romain, qui fut aussi méprisable que la nôtre par ses mœurs. Le snobisme eut une grande allure et un véritable éclat au temps de la Renaissance italienne, lorsqu’il reçut ses directions d’hommes qui furent, malgré leurs crimes, des artistes et des savants. Mais il déchut singulièrement quand il devint, sous l’inspiration des Jésuites, le snobisme des honnêtes gens, titre que se donnèrent les aventuriers de sac et de corde composant « l’élite » des cours de France et d’Espagne au XVIe siècle. Ce fut le snobisme des âmes noires et des pieds sales. Il y eut, au XVIIe siècle, celui des précieux aussi crasseux physiquement et moralement, mais plus léger et ridicule dans des formes littéraires. On trouve le précieux dans ce portrait de La Bruyère qui l’apparente dans tous les temps au snobisme intellectuel : « Arsène du plus haut de son esprit contemple les hommes ; et dans l’éloignement d’où il les voit, il est comme effrayé de leur petitesse. Loué, exalté et porté jusqu’aux cieux par de certaines gens qui se sont promis de s’admirer réciproquement, il croit, avec quelque mérite qu’il a, posséder tout celui qu’on peut avoir et qu’il n’aura jamais. » La Régence de Philippe d’Orléans, au XVIIIe siècle, vit les roués ; ils donnèrent le ton aux agioteurs de la rue Quincampoix et aux débauchés du Palais Royal et des « folies », petites maisons où ils se livraient à ce qu’on appelle aujourd’hui les « partouzes ». Le même siècle vit les merveilleux, sous Louis XV, les mirliflores, sous Louis XVI, les incroyables, sous le Directoire, tous se multipliant, comme la vermine dans les époques de décomposition sociale, dans des formes de snobisme de plus en plus excentriques et dépourvues de véritable élégance, d’esprit et de goût. Le premier Empire eut les agréables qui firent peu de tapage tout en étant fort ridicules.

La forme la plus curieuse du snobisme a été dans le dandysme, né en Angleterre au commencement du XIXe siècle. Il fut l’aspect supérieur du snobisme anglais. Le snob, d’après la peinture de Tackeray, était le gentleman hypocrite conservant, grâce au cant, les apparences d’un honnête homme ; c’était le noble étalant une façade de richesse alors que chez lui maîtres et valets ne mangeaient pas tous les jours ; c’était le prêtre cachant sous une charité ostentatoire une cupidité et des mœurs inavouables ; c’était le militaire dis-

simulant sous sa vantardise, et sous une poitrine rembourrée par l’uniforme, sa couardise et une anatomie délabrée ; c’était enfin tous les pantins sinistres ou grotesques faisant une insanité publicitaire du conformisme dirigeant. Le dandy fut le gentleman supérieur, le snob aristocrate qui donna le ton à la société anglaise la plus élevée en fortune, sinon en intelligence.

Balzac a dit que le dandy ne fut jamais un être pensant. Il représenta, en tout cas, une forme très particulière de l’esprit anglais : le dédain de tout ce qu’il juge inférieur à lui-même, dissimulé sous une impertinence polie. Ce fut la manifestation esthétique du cant. Le fâcheux, pour le dandysme, fut qu’il eut des préoccupations trop vestimentaires qui le conduisirent à l’excentricité ; mais même excentrique, il garda une certaine tenue, le rendant inabordable à ceux qui n’étaient pas de « race », comme les chevaux de leurs écuries. Le dandysme ne fut jamais le snobisme des gens « trop bien habillés » dont il faut se garder aujourd’hui plus que du rôdeur patibulaire et classique. Le snobisme du vêtement fut la fashion, ou « mode anglaise », contrefaçon du dandysme. Elle se répandit hors d’Angleterre, particulièrement en France où elle retrousse toujours ses bas de pantalon parce qu’il pleut à Londres ! Brummel fut l’incarnation du dandysme. Il fut l’esprit le plus britanniquement froid et calculateur ; il fut en même temps un fou.

Baudelaire, en qui les moralistes hypocrites ont vu un dandy, a écrit sur le dandysme des pages où il l’a mis certainement trop haut. Mais Baudelaire, à qui il manquait l’essentiel, c’est-à-dire la fortune, pour être un véritable dandy, voyait dans celui-ci « un homme blasé, un homme souffrant qui sourit comme le Lacédémonien sous la morsure du renard ». Ce dandysme devenait du stoïcisme. C’était celui de Leconte de Lisle dans la Mort du Loup ; c’était l’indépendance morale de Stendhal, s’excluant du « bégueulisme » de son temps et dénonçant le snobisme de ceux qui ne sentent point et dont le goût est simplement d’être sensibles à l’argent et aux dindes truffées ; c’était le don-quichottisme de Barbey d’Aurevilly s’escrimant contre les moulins à vent démocratiques ; c’était la noble et ironique impassibilité de Villiers de l’Isle-Adam, cygne tombé des hauteurs du Graal dans la basse-cour de la gendelettrerie ; c’était la protestation hautaine du fier et légitime orgueil humain contre les croupissantes et fétides promiscuités du muflisme. Baudelaire voyait apparaître le dandysme « surtout aux époques transitoires où la démocratie n’est pas encore toute puissante, où l’aristocratie n’est que partiellement chancelante et avilie. » Il le voyait fondé par « quelques hommes déclassés, dégoûtés, désœuvrés, mais tous riches de force native », et qui lui donnaient pour base « les facultés les plus précieuses, les plus indestructibles, et les dons célestes que le travail et l’argent ne peuvent conférer ».

Un tel dandysme était bien loin, même de celui de Brummel dévoué au cant anglais et à toutes les pourritures des convenances sociales. Il était encore plus loin de cette bourgeoisie qui « pense bassement », autant qu’elle agit, et dont les « philistins » fournirent au snobisme les fashionables et les lions. Le « Jockey Club » lui-même, qu’Eugène Sue fonda en 1834 avec les gens les plus riches de Paris, et qui est aujourd’hui le cercle aristocratique le plus fermé de France fut fashionable et non dandy. Il n’a jamais représenté, comme son nom l’indique, qu’un snobisme de grande écurie.

La France eut dans le lion le contraire du dandy glacial, distant, dédaigneux, inébranlablement décidé à ne pas s’émouvoir. Le lion fut excité, galant, empressé, cherchant à plaire et à séduire par ses cravates, ses bottes, et par un débordement de sentimentalité. D’Or-