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Reinach écrivait dans le Figaro, en 1916, que « la guerre est un art noble ». Le snobisme, adoptant la formule à la faveur des circonstances, a appliqué cette noblesse à toutes les formes d’assassinat, de brutalité et d’abrutissement. L’aviation est « noble » qui permet de mitrailler des vieillards, des femmes, des enfants, des bestiaux sans défense. La boxe est « noble » qui offre le spectacle de brutes humaines s’assommant. La tauromachie est « noble » qui permet de voir étriper en musique et au grand soleil des chevaux et des taureaux. L’alcoolisme est « noble » grâce auquel, à force de cocktails, on ne peut plus monter son escalier que sur les genoux et on « pique » des crises de delirium tremens dans des établissements « distingués ».

Ces choses-là qui ont leur dénouement dans des asiles d’aliénés ou qui provoquent ces « drames mondains » dont la police n’arrive pas à étouffer les échos crapuleux tant ils sont nombreux, soulevaient le dégoût public quand un Coupeau, ouvrier zingueur, ou des « mecs » du « Sébasto » et leurs « dames » en étaient les héros ; mais elles sont « nobles » quand elles se passent dans la « haute société » !….

Le snobisme s’est démocratisé par la dissolution des classes et des principes, de la morale et des scrupules. Les « purotins » engraissés de la misère publique ont fait le snobisme « nouveau riche » ; les riches « décavés » ont adopté le « snobisme de la purée », lancé par M. de Fouquières, grand ordonnateur des élégances républicaines, et font étalage de leur bon goût dans des bals « de la misère noire », etc… Les deux snobismes s’épaulent mutuellement, le premier entretenant le second, le second apprenant les « belles manières » au premier, les deux composant « l’élite » de la racaille souveraine dans les hautes sphères comme dans les bas-fonds.

Dans ce snobisme, l’ancien rôdeur et le souteneur, passés nettoyeurs de tranchées, munitionnaires, millionnaires et milliardaires, aventuriers politiciens, députés, sénateurs et ministres, se confondent avec la « vieille noblesse » qui met ses titres et ses parchemins au service des sociétés d’escroqueries financières, et fournit de barbeaux aristocratiques les riches héritières du cochon et du pétrole. Tous étalent des élégances trop ostentatoires pour être honnêtes et ne pas cacher de sales pièges, dans tous les « milieux » où se rencontrent les « gentilshommes » et les « nervis », les « politiciens » et les « faisans », les proxénètes et les mouchards, tous les fripons, les marlous et les assassins que la « justice » ne punit pas, que les gouvernants décorent et que les journaux soutiennent, tout au moins d’un silence complice quand ils sont « allés trop fort » !… Dans un monde aussi exemplaire, la chevalerie de « l’honneur » ne peut que faire bon ménage avec celle du surin, de la pince-monseigneur et du trottoir. Les « nervis » qui, entre un cambriolage et l’assassinat d’un garçon de recettes, mettent leurs talents au service des grands de la terre, sont dignes de partager leurs honneurs.

Le snobisme a fait riches et pauvres égaux en sottise, en cruauté, en sadisme ; mais les pauvres, qui fournissent le plus souvent les victimes, sont les plus stupides quand ils s’appliquent à copier les turpitudes de leurs maîtres. On voit encore, dans la République radicale-socialiste, les « manants » participant à la curée du cerf que des centaines de « gentilshommes », de « nobles dames », de piqueurs, de chiens, ont pourchassé, traqué, torturé pendant des heures, le plus longtemps possible, pour « faire durer le plaisir » !… On retrouve aux spectacles de la guillotine et du cirque les mêmes foules sadiques de buveurs de sang, de hurleurs à la mort qui s’amusaient aux supplices des Damiens, qui frappaient à coups d’ombrelles les Communards prisonniers et leur crachaient

aristocratiquement à la face. Il y avait, il n’y a pas longtemps, il y a peut-être toujours, dans des prisons roumaines des séances de gala où les « dames de la ville » pouvaient assister aux punitions corporelles infligées aux femmes délinquantes !… Il y a toujours en Amérique des pendaisons populaires de noirs. Elles font oublier à huit millions de chômeurs, abrutis par leur « supériorité de citoyens américains », les martyrs de Chicago, Sacco et Vanzetti, les noirs de Scottsborg, Mooney et Billings, les mineurs de Harlan. Aristocrates et démocrates sont confondus dans un snobisme qui n’est plus que de la crapule et de la lâcheté.

Nous n’insisterons pas davantage sur le snobisme produit raffiné de cette putréfaction sociale que nous avons déjà observée aux mots : Élite, Muflisme, Paraître, et dont nous verrons la psychologie aux mots Sottise et Vanité. L’aristocrate, le mufle, le mégalomane, réunis dans le snobisme, sont les éléments « spirituels » de cette putréfaction à quoi le coup de balai révolutionnaire est de plus en plus indispensable pour faire place aux forces vitales, saines et vigoureuses, qui auront à refaire le monde. — Édouard Rothen.


SOCIABILITÉ n. f. Les sociétés existent. C’est un fait. Que ces sociétés réalisent des conditions d’existence pas toujours avantageuses à l’individu, c’est encore un autre fait. Que, malgré cela, l’individu présente cette particularité que nous appelons sociabilité, c’est-à-dire aptitude à vivre avec d’autres individus plutôt que seul, cela nécessite une recherche sur l’origine et le développement de cette particularité, à seule fin de nous expliquer son pourquoi, après son comment.

La sociabilité, comme toute chose, reste inexplicable en dehors du temps. Pour en saisir toute l’évolution, il nous faut donc remonter jusqu’à ses éléments les plus primitifs, dans le plus lointain des passés.

La vie, la substance organisée étant formée de substances inorganisées, c’est donc dans celles-ci que nous devons trouver les premiers éléments fondamentaux de la sociabilité. En fait, les constructions atomiques et moléculaires nous donnent déjà des systèmes coordonnant des éléments plus individuels : noyaux, électrons, etc., dont les différents arrangements forment les divers corps simples connus. Ceux-ci, à leur tour, s’allient entre eux pour former tous les corps composés en nombre illimité. Des ébauches d’organisation se constatent dans les cristaux, mais ce sont les organismes vivants qui présentent à leur plus haut degré, non seulement la cohésion et l’harmonie de leurs éléments chimiques, mais encore une propriété nouvelle : le pouvoir de transformer et de coordonner les éléments inorganiques en substance organique. La matière vivante est donc conquérante.

Cette assimilation a pour conséquence deux faits importants : 1° elle augmente la quantité de la matière vivante au détriment de toutes substances, vivantes ou non, mais assimilables ; 2° cette matière ne se développe point en masse continue, informe et illimitée, mais par petites masses discontinues, distinctes, formant pour ainsi dire autant d’unités, de cellules, d’individus.

Ces deux faits ne sont certes point des éléments de sociabilité, car si les éléments de chaque individu s’ordonnent selon une certaine coordination, un certain équilibre, présentant les caractères de la sociabilité, les individus, entre eux, ne forment point un tout harmonieux. Au contraire, chacun d’eux lutte souvent contre les autres et les mouvements vitaux se détruisent ainsi mutuellement.

Cette activité n’est point créatrice de sociabilité. Pourtant chez les êtres inférieurs, tandis que la reproduction de la plupart d’entre eux donne des êtres isolés, quelques infusoires, tels les Flagellès et les Ciliès, res-