3° L’évolution psychique aggrave ou adoucit les deux faits précédents.
Ceci est évident ; l’homme civilisé qui tue une femme et son amant par jalousie sexuelle est plus malfaisant que le bouc qui se contente d’assommer son rival. Le lion qui mange une gazelle est moins dangereux que le financier qui exploite et tue, par l’usure et la guerre, des millions d’hommes.
Nous avons vu que deux autres faits favorisent la vie sociale : l’identité des rythmes vitaux, la réunion d’êtres semblables. Ce dernier fait est essentiellement dépendant des ressources du milieu et de la coordination bonne ou mauvaise des individus. Il y a une limite de groupement au dessous de laquelle l’homme trop isolé ne peut plus lutter avantageusement contre la nature ; mais il y a également une limite au delà de laquelle l’organisation devient déficiente par difficulté de coordination, excès de population.
L’identité des rythmes est produit par l’éducation utilisant la faculté d’imitation de l’homme. Elle conserve et amplifie les acquisitions des générations successives et forme un tout complexe : la tradition, s’opposant ou favorisant plus ou moins les instincts et les sentiments des individus.
Nous avons donc à considérer si la sociabilité est un fait naturel, instinctif, plus ou moins contrarié par l’éducation et la tradition, ou si, au contraire, la sociabilité est un fait acquis, créé par l’éducation, luttant contre l’instinct et l’hérédité. En réalité, la sociabilité est un de ces états affectifs complexes que nous avons étudiés précédemment ; elle est formée par l’instinct sexuel, des sentiments altruistes et généreux, le tout favorisé ou refoulé par l’éducation.
Nous nous trouvons donc en présence de deux sortes d’éléments déterminants : les éléments sociaux ou traditionnels ; les éléments individuels et héréditaires. Les premiers sont conservateurs, stables, coordonnateurs, mais absolument artificiels. Leur rôle essentiel est de créer une sorte d’unité disciplinant les variations héréditaires ; ainsi agissent les opinions, les croyances, les morales, le savoir, les mœurs et tout l’acquis matériel et psychique que l’individu trouve en naissant dans le milieu humain. Il est compréhensible que la tradition a d’autant plus de chance de durer et de s’enrichir qu’elle favorise davantage les instincts et les sentiments les plus vivaces et les plus vigoureux existant chez tous les participants du groupe. Formée d’ailleurs par l’imagination, sous la nécessité impérieuse des instincts et des sentiments, elle suit une évolution parallèle à l’évolution intellectuelle et morale du groupement, mais cet acquis n’étant qu’une connaissance imitative ne se transmet point héréditairement et disparaît avec la dispersion du groupement.
Il n’en est pas de même avec les éléments individuels héréditaires. Ceux-ci, bien que plus variés, plus divergents et s’opposant quelque peu à l’unité de rythme nécessaire à toute sociabilité collective, ont tout de même une base indestructible dans la physiologie même de l’individu, un acquis héréditaire persistant, quelle que soit l’importance, la prospérité ou la dispersion du groupement.
De grands empires se sont écroulés, entraînant la disparition totale de leurs civilisations et de leurs traditions, ne laissant que des ruines et des graphismes indéchiffrables, mais, au cœur des survivants épars, les mêmes instincts et les mêmes sentiments se sont perpétués, poussant l’individu vers son semblable pour la reproduction, la faim, l’entr’aide ou la lutte.
Ceci nous explique pourquoi l’homme actuel recherche la compagnie de l’homme, bien que cette compagnie ne lui soit pas toujours favorable. Il y est déterminé par ses instincts sociaux plus puissants que ses instincts anti-sociaux.
Nous pouvons conclure ainsi :
1° L’instinct de conquête est la conséquence de la vie et n’est jamais vaincu. Il peut dresser l’homme contre l’homme, ou l’homme contre la nature, mais ne peut cesser d’être ;
2° La sociabilité est un instinct héréditaire secondaire, à base sexuelle, s’opposant à l’instinct de conquête primordial ;
3° Elle crée les groupements humains, les sentiments sociaux et la tradition ;
4° Les groupements humains obéissent à des lois d’équilibre économique, des lois de coordination et des lois d’imitation ;
5° Les lois d’équilibre économique nous font connaître le rapport entre la production et la consommation ; entre la population et les ressources alimentaires ;
6° Les lois de coordination nous indiquent les avantages des rythmes unificateurs et les difficultés croissantes d’organisation des groupements étendus, les nécessités d’harmonisation des individus sous peine de chaos et de désagrégation ;
7° L’imitation est bienfaisante ou dangereuse suivant que les mœurs imitées sont avantageuses ou malfaisantes pour les groupements. Elle explique l’existence des fonctionnements sociaux, sexuels ou moraux les plus différents, les plus opposés et les plus dissemblables par le seul fait que l’imagination humaine est illimitée et que, seules, les impossibilités biologiques lui servent de frein ;
8° Selon que ces lois bio-sociologiques sont plus ou moins contrariées ou favorisées par la tradition, l’instinct de sociabilité ou de conquête est également plus ou moins entravé ou développé. La surpopulation, une mauvaise coordination, des mœurs belliqueuses peuvent intensifier l’instinct de conquête. L’aisance, une bonne organisation, une morale équitable peuvent, au contraire, favoriser l’instinct de sociabilité ;
9° Toute sociologie véritable doit tendre, par conséquent, à développer l’instinct de sociabilité par la réalisation rationnelle des lois bio-sociologiques favorisant la vie de tous les individus ;
10° L’évolution des sociétés humaines ne s’effectue pas fatalement vers l’ordre et l’harmonie, pas plus d’ailleurs que vers le désordre et la dissolution. Rien n’est écrit d’avance. Si l’instinct de sociabilité détermine une sage utilisation des lois bio-sociologiques, l’imitation assurera le triomphe des coordinations équitables. Si l’instinct de conquête l’emporte, ces lois seront méconnues, l’imitation en aggravera les conséquences et le déséquilibre social se perpétuera indéfiniment dans la souffrance et le chaos. — Ixigrec.
SOCIALISATION n. f. Action de socialiser, de mettre en société. (Peu usité). — Extension, par lois ou décrets, d’avantages particuliers à la société entière. « Résultat de cette action »…
Voilà, sur le mot Socialisation tout ce que dit le Dictionnaire Larousse. Il faut nous reporter dans cet ouvrage au mot socialiser, qui n’en dit guère davantage :
« Socialiser, v. a. Rendre social, réunir en société. — Placer sous le régime de l’association : socialiser la propriété. — Se socialiser, v. pr. Devenir sociable. »
Par contre, le Dictionnaire Larousse s’étend assez sur le mot Socialisme qu’il définit ainsi :
« Toute conception qui, en opposition avec la doctrine individualiste, voit dans la socialisation immédiate ou progressive, volontaire ou forcée, la condition sine qua non de tout progrès. — Socialisme d’État, V. Étatisme ; Socialisme chrétien ; Socialisme agraire ; Socia-