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SOC
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du travail des autres. Lui échappent également les objets dit de « consommation » (aliments, meubles, vêtements, etc.), sur lesquels, dans la mesure où ils sont indispensables à son existence et dans celle surtout où il a rempli le devoir social, tout être humain a un droit imprescriptible, y compris la faculté de les transmettre par héritage. Seule l’appropriation privée des instruments de production (mines, domaines agricoles, usines, etc.) constitue un péril pour la liberté, le citoyen qui en est dépourvu dépendant forcément de celui qui les possède ; seule, par conséquent, elle doit être proscrite.

« Quant aux voies et moyens préconisés par les collectivistes, ils découlent spontanément, toujours selon eux, de la nature des choses. D’abord, le capital, cosmopolite par son essence même ayant, grâce à son élasticité, à sa fluidité extrême, fait de la question sociale une question désormais « mondiale », c’est sur le terrain par lui-même choisi qu’il importe de le suivre, si l’on veut le combattre avec efficacité. Autrement, à chaque tentative faite dans un pays donné, par les déshérités pour obtenir plus de justice, il suffirait à ses détenteurs de lui faire passer la frontière pour rendre illusoire toute sanction véritable. D’où nécessité d’une entente internationale des travailleurs… etc.

« Enfin, la conquête des pouvoirs publics par le bulletin de vote… ou autrement et la révolution, même violente, est la phase terminale de révolution. Elle est inévitable. »

Voilà, en quelques mots, tout le système collectiviste selon les socialistes, tels qu’ils sont compris par le Dict. Larousse.


Tout d’abord, émettons de façon simple et claire, que nous concevons une nouvelle organisation sociale dans le sens absolu de notre idéal libertaire, c’est-à-dire sans contrainte des uns sur les autres, sans dictature aucune et, s’il est possible, sans aucune violence, tout au moins, sans autre violence que celle de la défensive populaire s’opposant naturellement à la violence réactionnaire.

Nous ne nous dissimulons point que la réalisation de nos idées sociales ne peut s’obtenir autrement qu’à la faveur d’un mouvement révolutionnaire. Celui-ci n’est peut-être plus bien loin de s’accomplir. Un vent de mécontentement général souffle sur le vieux système social de l’exploitation de l’homme. Des circonstances économiques toutes particulières nous font percevoir comme une oscillation des choses. On parle de paix et tout le monde croit à la guerre très proche. Cette horreur est sujet de crainte bien justifiée pour beaucoup et sujet d’espoir malsain pour quelques-uns. Qui vivra verra. Mais, en tout état de cause, la Révolution est inévitable. Il importe pour nous qu’elle éclate, cette Révolution, mais nous la voulons sociale et non politique, afin qu’ainsi elle nous épargne la guerre.

A tout prendre, si le sang doit couler encore, il coulera toujours moins dans l’effort immense d’un grand renouvellement du monde, par la formidable révolte des peuples pour une heureuse transformation sociale, que par le choc stupide et criminel des nations s’ingéniant à s’anéantir mutuellement au nom d’immondes entités, au profit d’infâmes intérêts de castes et de classes.

Donc, à l’heure actuelle, bien des gens de divers tempéraments, de diverses origines et de situations sociales opposées songent à la Révolution possible. Les uns l’attendent avec espoir, les autres la redoutent. Tous ont, dans chaque pays, de sérieuses raisons pour cela. En tout cas, que ce soit la guerre qui nous menace ou que ce soit la Révolution, la situation est grave. D’ailleurs, c’est peut-être l’une et l’autre qui s’approchent et c’est sans doute de l’énergie, de la conscience des

peuples qu’il dépendra que la Révolution éclate d’abord et fasse avorter la guerre, pour le triomphe du Progrès et de l’Humanité… Tout dépend de la mentalité populaire.

Le grand souci, le seul raisonnable, pour un révolutionnaire n’est-il pas d’être prêt à toute éventualité et de savoir ce qu’il veut ?

Les anarchistes, les libertaires, les syndicalistes sont d’ores et déjà fixés. S’inspirant du plus horrifiant et du plus récent passé que fut l’expérience de 1914–1918 ils sauront s’efforcer de montrer au Peuple le chemin qui n’est pas celui où les voudront mener encore, par d’ignobles mensonges, leurs seuls ennemis : les politiciens, les gouvernants, les exploiteurs, les profiteurs, les criminels, les bandits et tous les prostitués de la Presse, de l’Armée, du Clergé, de la Bourgeoisie au service du Capitalisme. La première besogne révolutionnaire sera de triompher rapidement, par tous les moyens, des forces d’oppression de l’État et de l’État lui-même. Bien vouloir une Révolution, c’est déjà la faire. On l’a bien vu ailleurs. Il est donc possible, avec du courage, de l’énergie, de la conviction, du sang-froid et de la volonté, de barrer la route à la guerre par la Révolution. C’est la phase d’action la plus urgente, peut-être la plus dangereuse, on le sait ; mais ce n’est pas la plus longue.

Le moment critique est celui où l’on bouleverse tout un monde déséquilibré dans sa base pour lui substituer, avec intelligence et sûreté, un système social nouveau. Nous avons le nôtre… Inutile de l’exposer une fois de plus. Essayons plutôt de le réaliser ici de façon théorique, nous réservant de l’appliquer avec toute la foi qui nous anime et l’enthousiasme dont nous sommes capables dans nos efforts d’apostolat et de réalisation, en nous adaptant aux circonstances qui favoriseront notre but.

Nous savons bien pourquoi tout va mal. Nous savons bien pourquoi cela dure depuis si longtemps et comment cela peut finir. Ne serions-nous pas coupables, envers nous-mêmes d’abord, et envers tout le Prolétariat qui gémit, si nous négligions de nous associer à tout effort individuel et collectif susceptible de déclencher la Révolution et de l’orienter vers l’idéal le plus humain, le plus généreux, réalisant pour tous la vraie justice, la vraie concorde, la réelle égalité par l’entente définitive des humains pour instaurer leur bonheur et leur liberté, par l’anéantissement de toute exploitation, de toute tyrannie, de toute autorité ?

Nous ne croyons pas à l’émancipation des Peuples par la Dictature, fut-elle celle du peuple lui-même. Nous voulons l’affranchissement par la Liberté.


Les groupements prolétariens, s’ils ont su prendre la place qui leur revient dans le mouvement révolutionnaire et surtout dans la Révolution sociale que je suppose accomplie, ne devront pas se faire la moindre illusion sur le nombre et l’ampleur des difficultés qui surgiront alors. La tâche sera rude et longue. La dépense d’énergie, de ténacité, de bon sens devant toutes les circonstances qui se présenteront sera énorme. Et les responsabilités à assumer seront évidemment redoutables pour les groupes et pour les individus. Certes, militants, animateurs, conseillers et hommes d’action surgiront avec la même cadence que se succéderont les difficultés. Les succès ou les échecs susciteront la vaillance et le dévouement pour la cause en jeu.

Ce sont les événements qui font éclore les actes d’héroïsme et se multiplier les prouesses. Une Révolution n’est faite que de cela en sa période la plus active. Il n’y a plus place alors pour les timides. L’atmosphère révolutionnaire devient alors irrespirable aux théoriciens défaillants, aux bavards sans conviction, aux