Page:Faure - Histoire de l’art. L’Art antique, 1926.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

cinq siècles, sont plus civilisées que l’Amérique actuelle dont le style est encore à naître. Et le Japon d’il y a cinquante ans est plus civilisé que le Japon d’aujourd’hui. Il est même possible que l’Égypte constitue, de par la solidarité, l’unité, la variété disciplinée de sa production artistique, l’énorme durée et la puissance soutenue de son effort, la plus grande civilisation qui ait encore paru sur terre, et que toutes les manifestations dites civilisées depuis elle, ne soient que des formes de dissolution et de dissociation de son style. II faudrait vivre encore dix mille ans pour le savoir.

Le style, dans tous les cas, cette courbe harmonieuse et nette qui définit pour nous, sur la route que nous suivons, les étapes lyriques établies par ceux qui nous y précédèrent, le style n’est qu’un état momentané d’équilibre. On ne peut le dépasser. On ne peut que le remplacer. Il est la négation même du « progrès », possible seulement dans l’ordre de l’outillage et accroissant par là, avec le nombre et la puissance des moyens inventés par l’homme, la complexité de la vie et du même coup les éléments d’un équilibre nouveau. L’ordre moral, l’ordre esthétique peuvent, grâce à cet outillage, constituer des symphonies plus vastes, plus mêlées et enchevêtrées d’influences et d’échos, et servies par un beaucoup plus grand nombre d’instruments. Mais le « progrès moral », comme le « progrès esthétique », ne sont que des appâts fournis à l’homme simple par le philosophe social pour provoquer sen effort et l’accroître. Le mal, l’erreur, la laideur, la sottise joueront toujours, dans la constitution de tout style nouveau, leur rôle indispensable comme condition même de l’imagination, de la méditation, de l’idéalisme et de la foi. L’art est un éclair d’harmonie conquis par un peuple ou un homme sur l’obscurité et le chaos qui le précèdent, le suivent, l’entourent nécessairement. Et Prométhée est condamné à ne saisir le feu que pour illuminer une seconde la plaie vive de son flanc et le calme de son front.