Page:Faure - Histoire de l’art. L’Art antique, 1926.djvu/57

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d’un harpon et rampant vers l’animal. Rien ne dépasse la force directe d’expression de certaines de ces gravures. Le trait est tiré d’un seul coup et mord profondément la corne. L’artiste est souvent si sûr de lui qu’il ne relie pas ses lignes, indiquant seulement les directions dominantes qui dessinent l’attitude et marquent le caractère. Tête de cheval toute en naseaux et en mâchoires, jambes de rennes fines, sabots aigus, bois déployés comme des algues ou de grands papillons, poitrails coupants, croupes sèches, mammouths velus sur leurs pattes massives, vastes échines rondes, longue trompe et crâne exigu, petit oeil fin, bisons au dos montueux, à l’encolure formidable, aux jarrets durs, bêtes de combat, bêtes de course, masses irrésistibles, fuites éperdues sous les branches, toute la vie violente du chasseur, ces fortes images l’évoquent, dans son cadre rude de rivières, de grands bois frais, de grottes, de jours secs, de froides scintillations nocturnes.

Jamais société humaine ne fit plus corps avec son milieu que les tribus de chasseurs de rennes. La chasse et la pêche sont à la fois le moyen et le but de la vie, et la rude existence se poursuit même le soir, même la nuit, dans la caverne qui fait partie de l’écorce terrestre et d’où il a fallu déloger le lion et l’ours. Les récits des chasseurs, les questions des petits, le travail des artistes, des ouvriers de la pierre et du bois, des femmes, tout prolonge la forêt et l’eau, des peaux et des fourrures étendues sur le sol, des outils d’os et d’ivoire, des fibres végétales, des lits de feuilles sèches et des fagots de branches mortes aux stalactites de la voûte où perle l’humidité. Les soirs d’hiver, les soirs de feux et de légendes, les lueurs mourantes ou ranimées ébauchent au fond de l’ombre de fuyantes apparitions. Ce sont les bêtes mortes qui reviennent, les bêtes à tuer qui narguent le chasseur, celles dont la tribu a tant mangé la chair, tant travaillé les os, qu’elles sont devenues pour elle des divinités protectrices. Dès lors, il convient de fixer leur image dans les coins les plus reculés, les plus noirs de la caverne, au fond de retraites profondes d’où leur puis-