Page:Faure - L’Arbre d’Éden, 1922.djvu/318

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s’équilibre toujours, ainsi qu’une danse rythmique, un ballet, autour de l’idée centrale, à la fois douloureuse et comique, où il puise ses motifs.

II

Car je vois fort bien ce qui sépare Charlot d’un comédien ordinaire, interprète d’idées, de sentiments, de formes qu’il n’a pas lui-même combinés, mais point du tout du peintre, du musicien, du géomètre, l’objectif, la bande et l’écran jouant le rôle de la toile, des pinceaux, des couleurs, du compas ou des instruments de l’orchestre. Et je vois par où, tout comme un peintre, un géomètre, un musicien, il entre en conquérant dans l’empire des poètes… Voici le farfadet narquois qui disparaît en dansant dans l’ombre d’un couloir sordide ou sur la lisière d’un bois. Voici Watteau, voici Corot, les grands arbres encadrant la guirlande des farandoles, le crépuscule vert et bleu qui s’enfonce sous les feuilles, le pauvre emporté par le songe, avec ses souliers éculés, ses gambades grotesques et charmantes, parmi les nymphes qui l’entraînent dans les prés ensoleillés. Entouré de divinités éternelles, la sorcière, la sirène, Hercule, ou bien le Minotaure à forcer dans son antre avec sa petite canne et son invincible candeur, voici le lutin associant à sa joie humble, à sa souffrance ridicule, la grande complicité poétique du vent, de la lumière, des murmures sous les branches, du