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Page:Favre - Les entretiens spirituels d’Antoine Favre, 1601.djvu/44

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Le temps n’eſt qu’vn inſtant lequel touſiours ſe change,
Le temps n’eſt qu’vn inſtant lequel dure touſiours,
Il dure en ſe changeant ſans auoir ans ny iours,
Puis que ce n’eſt qu’vn poinct, mais vn Prothee eſtrãge :
Le paſsé n’eſt plus rien, que la Mort qui ſe vange
De ne pouuoir du temps entrerompre le cours,
L’aduenir n’ha point d’eſtre, & par mille deſtours
Va, finet, deceuant quiconque à luy ſe range :
Que ſi le temps plus long n’eſt autre qu’vn inſtant,
A quoy vous ſert, mortels, de vouloir viure tant,
Sinon pour d’vn inſtant allonger voſtre vie ?
Qu’entreprenez-vous donc par vos ſi longs appreſts ?
Nature en vn inſtant n’ha ſes miracles preſts,
Dieu ſeul pour vous ſauuer d’vn ſeul inſtãt vous prie.


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Combien d’iniquités en mon ame s’amaſſent !
Mais combien de malheurs l’vn ſur l’autre entaſsés !
Que de vices, helas, ſur ma teſte placés
Qui comme vn peſant faix par leurs poids me terracẽt ;
Pauure ſot ! ie penſois que plus ilz s’embaraſſent
Par leur nombre, plustoſt ilz ſeroient ranuersés,
Mais tant plus ie les ſens dans mon ame enchaſſés,
Si que tombans il faut qu’encor ilz me fracaſſent :
Lairray-ie donc la ſappe ou la mine approcher
Ceſte tour de Babel, pour la faire broncher ?
Tant de ruine, helas, me reduiroit en cendre !
Il ſuffiroit ô Dieu, qu’il pleuſt à ta bonté
Ranuerſer par le pied ma ſeule volonté,
La tour iroit à bas, Mon ame à toy ſe rendre.