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En Bengale

Le premier, Hindou de la dernière caste est héréditairement chargé de laver et de repasser le linge de ses concitoyens qui considèrent cet ouvrage comme une dégradation et une souillure ineffaçable. Le « Dhobie » procède d’une façon primitive. Il restitue les vêtements, tordus, déchirés, brûlés au fer, il arrache liens, boutons, agrafes, c’est un destructeur et un tyran, car nul autre indigène ne consentant à se charger de ce travail, il abuse de la patience de ses clients, bienheureux lorsqu’il ne se livre pas avec leurs nippes à quelque avantageuse combinaison de location.

Lorsque nous séjournons en un village ou un bourg de quelque importance, Kodah, responsable du choix et de la célérité des dhobies, a avec eux des luttes dont les échos font hurler tous les chiens des environs ; sa voix sèche, saccadée et aigre comme celle d’une vieille concierge, les gourmande, les presse, les traite de fripiers, d’écume du monde, de beaux-frères : il étouffe, il bégaye, finalement il s’adoucit en empochant la moitié du prix convenu et les renvoie battus et incorrigibles.

Avec le « napit » (barbier) par contre, Kodah a rarement le dernier mot. À la pointe du jour, celui-ci s’annonce par un cri court et grotesque, il va de porte en porte offrant ses services, tenant à la main ses rasoirs et un petit pot de cuivre plein d’eau douteuse. Kodah, très soigneux de son apparence physique, aussitôt l’appelle, l’amène derrière le bungalow et les deux bonshommes s’accroupissent par terre en face l’un de l’autre. Avec une regrettable parcimonie, Kodah discute, s’échauffe pour un centime, tant et si bien que le figaro s’exécute. Mais une fois l’opération commencée, lorsqu’il serre entre ses pieds les hanches anguleuses de Kodah et lui étreint le nez à pleines mains, son attitude résignée fait place à la morgue du praticien indispensable et cupide, il exige, séance tenante, un double salaire sous peine de mauvais traitement et Kodah, malgré les larmes, les serments qu’il prodigue, jurant qu’il est pauvre, que sa femme se meurt, que sa belle-mère est morte, que son beau-père fait un pèlerinage, Kodah tremblotant, désigne des yeux son turban, dans l’ampleur duquel se cache son petit pécule.

Kodah nous est attaché à sa façon ; vaniteux comme tous les Musulmans, il se trouve flatté de servir des gens qui voyagent en « gharri owa », véhicule pris parfois par le vulgaire pour une incarnation divine. Lorsqu’il expose à une foule, bouche bée, nos exploits automobilistes, les provinces lointaines qu’il a parcourues avec nous, les babous eux-mêmes l’écoutent avec respect, on le questionne humblement et l’affirmation de sa supériorité sur ce misérable peuple d’ignorants chatouille délicieusement son orgueil. Parfois, l’un des auditeurs se risque à lui demander quelle