Page:Faydit de Terssac - À travers l’Inde en automobile.djvu/111

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
99
À Travers l’Inde en Automobile

farouche et libératrice, qui se montre avec un réalisme terrifiant aux bûchers de « l’Immortelle Kasi[1] ». Autour des piles funéraires, les prêtres assis sous des champignons en paille tressée, marmottent des prières, les barbiers rasent la chevelure et la moustache de ceux qui ont perdu un des leurs : les rires et les cris d’enfants, les fleurs effeuillées, la joie de la vie tenace, exubérante, semblent défier cette terrible ennemie de l’humanité. Et les flammes s’élèvent comme une réponse rougeoyante, droites, ardentes, souverainement victorieuses, maîtresses définitives de ces êtres vaincus par la mort. L’on amène sous nos yeux une femme destinée aux bûchers. Des hommes la portent couchée sur un brancard de bambous qu’ils soulèvent comme une plume. Le corps, revêtu de ses habits de fête est enveloppé d’un voile blanc qui cache la figure, mais un petit pied inerte échappe au linceul, et lorsque la morte est déposée au ras du fleuve, pareil à une offrande d’or, il baigne dans l’eau sacrée. Des amis, des parents suivent le corps, ils s’adossent silencieux, en fumant gravement, aux palais délabrés sur lesquels miroitent le soleil. Un petit garçon de six ans conduit le deuil après avoir mis un pagne neuf, il fait cinq fois le tour de l’amoncellement de bûches sèches et essaie vainement d’allumer le feu, il pleure de chagrin ou d’humiliation, des deux peut être ! Un parent vient à son aide et il introduit sa torche enflammée entre les pièces de bois. Le feu crépite, fume, gagne les vêtements, la chair, la tête qui se distingue encore sous les fagots entassés. Le vent active le brasier et en quelques instants, il ne reste qu’un monceau de cendres, que les assistants éteignent en les noyant d’eau du Gange ; puis, l’enfant prend ces restes carbonisés, ce résidu humain, il l’abandonne aux flots jaunâtres et se courbe sous le joug de la mort orgueilleuse, lui qui n’est que poussière et doit retourner en poussière.

  1. Appellation de Bénarès en Indoustani.