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À Travers l’Inde en Automobile

quatre gamins font sauter une cruche pleine de crème, attachée par des ficelles qu’ils tirent à tour de rôle. Parmi les groupes bruyants d’enfants, les étalages de fruits, les acheteurs, un pâtissier se faufile portant sur la tête un plateau rempli de beignets, de bananes, de caramels, de farines, de sucre. Quelques femmes l’arrêtent au passage, avec de grands frais d’éloquence il leur livre sa marchandise, elles s’en vont silencieuses, discrètes, rasant les murs, cachées par une sorte de domino en coton blanc qui leur tombe des pieds à la tête, laissant seulement apercevoir une cavité brillante à la place des yeux, sous les résilles du « burka ».

Les corbeilles débordantes de graines, de cannes à sucre coupées, alternent dans les boutiques avec les cages d’osier qui tiennent prisonnières des tourterelles, des cailles, de petites fouines appelées « mangoustes », l’ennemi redoutable des serpents.

Toute cette civilisation antique, enfantine et originale de l’Inde tient dans ce bazar de Lahore. L’on y trouve la satisfaction de tous les désirs, de toutes les nécessités, de toutes les vanités de ce peuple, composé de tant de races, de tant de castes, si différentes entre elles. L’on y rencontre les professions les plus inférieures et les métiers les plus nobles. La misère sordide et la richesse la plus fastueuse s’y coudoient, Mahomet y voisine avec Brahma ; les tam-tam indous qui appellent aux temples noient la voix du muezzin invitant les fidèles à adorer Allah, et un bœuf sacré, arrogant, bien en chair, fourre sans contradictions son mufle dans les corbeilles de denrées, qu’un fakir émacié implore de la charité publique.

Dans les rues resserrées, fourmille une population commerçante d’Indous et de Mahométans, dominée par la belle prestance des Siks guerriers.

L’évolution de cette race, accomplie uniquement sous l’influence de la religion, est très particulière. Lors des prédications de Bana Nak et du « Guru » Govind, quelques tribus d’Indous, d’origine rajput ou scythique, agriculteurs, cultivateurs, abandonnèrent la foi des Brahmes pour la nouvelle religion de ces prosélytes. Lorsqu’ils possédèrent la terre qu’ils travaillaient, ils devinrent une force et pour garder leurs richesses, ils s’érigèrent en caste militaire, admettant dans leurs rangs tous les Indigènes, sans distinction de naissance, qui embrasseraient leurs croyances. L’Empire moghol se vit arracher par eux des concessions et des titres innombrables, enfin, au commencement du XIXe siècle, Ranjit Shingh réunit les clans Sik en confédération, s’empara du Penjab dont il se proclama roi à l’âge de vingt ans, faisant de Lahore sa résidence favorite.