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Page:Faydit de Terssac - À travers l’Inde en automobile.djvu/155

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À Travers l’Inde en Automobile

reries étourdissantes qui pareraient une paillasse ; les troupeaux d’antilopes, de daims dévalent devant nous, sous la conduite des mâles, les cornes en spirales au vent, tandis que les jeunes chameaux en liberté gambadent avec des allures de collégiens trop grandis et haussent leur col flexible par dessus les arbres rabougris pour dévorer les rares pousses verdoyantes.

Peu d’humains ; quelques charretées de femmes, leurs jupes de bayadères en plissés vert, bleu, à dessins rouges et jaunes, serrées à la taille, le torse nu, les seins et le dos roulés dans des bandelettes, un voile de coton enveloppant la tête et les bras, chargés jusqu’aux épaules de bracelets en ivoire ou en corne. Des « Radjputs » vêtus de soie jaune les escortent à cheval, portant des enfants devant eux sur leur monture. Un glaive ceint leur taille, car ils sont « kastryas », membres de cette caste indomptable de guerriers et peuvent, quelle que soit leur misère, s’asseoir en égal à la table du Maharadja. Un moine mendiant exténué, couché sous une haie de cactus, les accueille, en égrenant d’une voix pleine de larmes son chapelet indou « Edge ram, Edge ram, ram, ram ». Il leur tend une loque indescriptible ; l’un y jette une obole de cuivre, l’autre une crêpe à moitié dévorée, et il s’éloigne. Longtemps la voix poursuit comme un remerciement : « Ram et ram, ram, ram ».

À la nuit, le ciel s’emplit à l’horizon de lueurs sanglantes, d’ors vifs, que la lune chasse, inondant de blancheur une enceinte crénelée, des palais, des remparts de granit ; c’est Jodhpur. Il n’est plus l’heure de nous prévaloir de nos introductions au Maharadja pour demander l’hospitalité du « Guest House » et le « Dak Bungalow » nous suffira pour cette fois.

Un rêve de marbre rouge édifié par des géants ; c’est ainsi qu’apparaît la capitale des Rathors. En marbre rouge, les portes surmontées de campaniles, de dômes, où les dieux et les éléphants se livrent des combats épiques ; en marbre les rues dallées, en marbre les temples. Sur un mur en marbre, Shiva grimace à côté de Krisna folâtrant avec des gopies de marbre, tandis que Ganesh roule sa trompe d’éléphant autour des piliers massifs. Un marbre, fouillé en treillages de rubans, travaillé en loggias ventrues, en fleurs inconnues, en animaux irréels.

Tout est marbre ; marbre poli, marbre brut. Le peuple vit, achète dans des boutiques, des rues de marbre.

C’est un curieux bazar que celui de Jodhpur ; encore imprégné d’une atmosphère d’atavisme belliqueux, tombé en désuétude