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Le Mont Sacré des Jains

blable au lit d’une rivière, qui serpente à travers des vacants incultes, épineux et pittoresques. Au loin les montagnes arrêtent le regard et vont rejoindre en ondulations décroissantes les sables du désert de Marwar.

Des enfants, perchés sur les blocs de granit dont la plaine est semée, gardent de maigres troupeaux de buffles gris fer, au mufle baveux, les yeux féroces. Ces pâtres ont allumé des feux de feuilles et de palmes sèches, dont la fumée monte en un dernier encens vers la citadelle ruinée des anciens rois.

À la base du pic qu’elle domine, s’ouvre un défilé rocheux fermé d’une lourde porte en granit noir mystérieuse et sombre comme une cachette des contes arabes. Un lac profond ombragé de sveltes et verdoyants palmiers épouse les contours d’un pli de terrain enserré entre les pentes de la colline. Les dieux et les coolis ont pris possession de cet antre de héros, quelques étables appuyées aux pentes de roc, des sanctuaires de divinités secondaires nichent dans les creux des rochers, sur les plate-formes, entre lesquelles on a creusé un escalier qui monte au sommet de la montagne.

Un ermite vivote sur la dernière terrasse, n’ayant pour abri qu’une étamine brune jetée au-dessus de quatre bâtons. Depuis six ans il n’a pas quitté pendant une heure ce lieu qu’il a choisi pour y finir ses jours dans la contemplation. Les bergers de la vallée lui apportent quelques nourritures, parfois il demeure des semaines entières sans manger.

L’âme indoue, essentiellement religieuse, se complaît dans ce perpétuel ravissement de l’ascétisme ; il est rare que les « jogui » de sang aryen ne soient pas des convaincus, à l’inverse des fakirs musulmans, cabotins, acrobates et spirites. Pour éviter la réincarnation, le terrible mal, l’Indou veut arriver à la connaissance absolue de l’Être, essence du monde dont les âmes humaines sont des parcelles, et mériter d’aller se réunir à lui, ne former plus qu’un être pour être délivré à jamais des incarnations futures. Même s’ils ne sont pas libérés de la vie et condamnés à revenir sur terre, les ascètes jouissent dans leur nouvelle existence d’une puissance de domination illimitée sur le monde matériel.

Les Indous expliquent ainsi le don des miracles : une force suprême acquise dans des vies antérieures, par des milliers d’années d’austérité. L’état nécessaire à la fusion de notre essence avec l’essence de toute chose, avec l’Être ne s’obtient que par la méditation prolongée, le dégagement total des sens ; une hallucination permanente, qui fait croire aux ascètes qu’ils ont dépouillé le corps et toutes ses sensations. Pour cela ils pratiquent