Page:Faydit de Terssac - À travers l’Inde en automobile.djvu/174

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
162
Un Souverain Maratte

Bientôt une sonnerie de trompettes fait courir un frémissement d’impatience dans les rangs du peuple ; coqs, béliers, perruches se hâtent de sortir de l’arène, laissant le champ libre à un héraut qui annonce le combat d’éléphants.

Lentement, les colossales et informes masses de chair s’avancent ; les cornacs les montent et les placent aux extrémités du cirque, se faisant vis-à-vis. Leurs pieds massifs sont entravés par une chaîne que le conducteur, descendu, tient en main par le bout libre. À un signal de la trompette, le « Mahout »[1] détache l’éléphant et se coule hors de l’arène par des ouvertures basses, pratiquées dans les murs. Leurs petits yeux luisants de haine, secoués de rage, les trompes relevées, hideuses, les énormes animaux se ruent l’un sur l’autre, ébranlant le sol du poids de leurs pas pressés et pesants ; les trompes s’enlacent, les défenses s’entrechoquent, ils restent joints, impuissants à satisfaire leur colère, jusqu’à ce que la brûlure des étincelles de bombes et de fusées que l’on fait partir entre leurs poitrails haletants, les force à se séparer. La lutte avec l’homme est plus longue et plus passionnante, l’éléphant resté seul dans l’enceinte, est attaqué par des coolies nus, armés de longues piques rougies au feu ; ils le harcèlent, le blessent et le rendent furieux. Le nombre des ennemis, la multiplicité des agressions affole la bête ; il charge à droite, à gauche, comme un taureau, et si, d’aventure, dans sa rage il saisit son adversaire, il le lance en l’air ou le broie contre un mur.

Lorsque Sampat Rao juge qu’il est l’heure, au coucher du soleil, de faire cesser les jeux, on apporte des colliers de fer brisés, garnis de pointes acérées, que très habilement des hommes lancent aux jambes de l’éléphant et qui l’immobilisent.

Il est pris. Câlinement, son cornac s’approche, lui dit quelques paroles et l’emmène soumis et résigné.

Il traverse la foule pacifiquement, les enfants balancent sa trompe, on le taquine, on l’insulte ; il reste indifférent. Il est comme désabusé de sa force : tout à l’heure il luttait en désespéré contre ceux qui l’ont enlevé à sa jungle savoureuse, encore une fois ils l’ont asservi, il se courbe sous le joug et reprend ses habitudes passives d’esclave.

Les voitures du Gaikwar qui viennent nous chercher détournent à notre profit l’attention publique.

L’hostilité de leur souverain pour le gouvernement britannique n’est pas ignoré des sujets de Baroda, et un certain étonne-

  1. Cornac appelé aussi firman.