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Les Pèlerinages Célèbres

un bol de cuivre et une peau d’antilope, pour tout ameublement. Le matin, il s’accroupit en face du soleil, son chapelet entre les doigts, et il s’absorbe dans la contemplation de Dieu. Il perd conscience de son existence corporelle, ses yeux errent, sans le voir, sur le ravissant paysage qui s’étend à ses pieds, ses oreilles n’entendent pas le murmure du vent dans les branches tombantes, il ne goûte pas les modestes provisions que de pieux fidèles lui apportent. Il est dans un état de rêve perpétuel, dominé, subjugué par une idée fixe, une folie particulière. Du moins, c’est ce que me raconte notre Brahme qui le considère comme un saint, un initié, une puissance formidable. Si je l’en crois, le Sanyasi possède des pouvoirs visionnaires et prophétiques dont il me cite plusieurs exemples. Timidement, je demande s’il ne voudrait pas me faire pénétrer à sa suite dans ce futur qui n’a pas de mystère pour lui, paraît-il. Il écoute la requête du Brahme sans témoigner aucune surprise, aucune vanité, aucune satisfaction. Pas un muscle du visage ne remue pour indiquer que c’est à un être de chair et non à une momie bronzée que nous nous adressons.

Lentement, il se tourne vers moi, ses yeux fixés dans les miens, il me tend un coin de ses draperies oranges et me fait signe de m’asseoir près de lui, par terre. Il continue à me regarder sans me voir, et murmure des citations, des Védas, qui résumées par l’interprétation de notre guide se réduisent à une exhortation à la patience, parce que la vie est longue, dit-il, et le fardeau de douleur trop lourd pour les forces humaines. Je voudrais bien encore questionner, demander, mais le Brahme me fait comprendre que nous avons déjà trop abusé de ce saint homme et qu’il est temps de le laisser à sa solitude. Il ne se détourne pas pour nous voir partir, il demeure toujours les yeux perdus dans l’invisible, émiettant machinalement un gâteau de riz aux poissons enhardis par son immobilité de statue.