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À Travers l’Inde en Automobile

bientôt sur pied, supputant avec nous les chances qui nous restent de trouver un abri cette nuit. Il ne faut pas songer à rétrograder : une déclivité de 13 %, hérissée de blocs de granit comme un lit de torrent, a pu être descendue, mais, malgré notre hardiesse et la docilité vaillante de la machine, Siadous affirme que nous ne remonterions pas. Le campement sur place serait primitif ; nous n’aurions guère qu’une couche de feuilles desséchées pour étendre nos literies et pas même une hutte de branches pour nous abriter. Il faut trouver une façon de traverser cette lézarde de la route : contourner le morceau, enlevé probablement par une répercussion du tremblement de terre Hymalaïen, paraît être la seule solution praticable. Un sentier étroit dont la poussière garde l’empreinte de roues, se faufile dans la jungle et semble indiquer que les rares charrettes venant d’on ne sait où suivent cette voie en attendant une réparation encore lointaine.

Le chauffeur, armé d’une longue baguette, explore en le mesurant ce passage entre les troncs grêles dont les branches fusent de toutes parts, obstruant le ruban de terre battue. Décidément, pour nous permettre de traverser le taillis et pour revenir sur la route, il va falloir déraciner des arbustes et abattre deux arbres. N’est pas bûcheron qui veut, surtout lorsqu’on ne possède aucun des outils nécessaires. En dix mois de voyage et d’aventures automobile, nous ne nous sommes jamais trouvés acculés à une difficulté aussi insurmontable que celle de l’heure présente. Un découragement intense étreint le cœur et paralyse l’imagination. Il n’y a rien à tenter, rien à faire, qu’à attendre le jour, peut-être une intervention secourable, improbable, du reste, si nous n’allons la quérir nous-mêmes.

Nos provisions sont épuisées et une soif affolante nous tord la gorge. Je ne sais quelles hallucinations désespérantes dansent dans l’air saturé des parfums de la jungle, nous tressaillons au moindre bruit de bois mort tombant et une biche effarée, qui débouche d’un fourré, nous cause une véritable terreur. La pauvre bête éperdue, détale à toutes jambes vers la partie éventrée de la route, elle plonge dans le trou noir et reparaît aussitôt au loin, continuant sa course rapide. Machinalement, nos yeux l’ont suivie et la même idée nous frappe simultanément ; d’un commun accord, nous nous approchons de la saignée de terrain. Elle se creuse en forme d’entonnoir, les pentes des côtés s’inclinent insensiblement, mais dans le fond un lit de terre meuble rend le passage impossible à une automobile, il ne s’agit que d’y rouler des pierres et des morceaux de rochers pour que le sol raffermi puisse supporter sans fléchir la charge des roues.