La mer houleuse se rue contre les flancs du navire, elle s’irrite, elle s’emporte, l’écume bouillonne, les vagues roulent sur le pont et, brisées par l’effort, elles retombent en misérables ruisselets. Le soleil darde des rayons impitoyables sur les routes blanches qui apparaissent encore nettes et vives le long du quai, l’ombre des mâts tombe en noirceurs fuselées sur les flots impétueux, des cheminées du steamer s’échappent des tourbillons de fumée charbonneuse, les amarres sont larguées, les hélices battent et chacune de leurs pulsations nous éloigne de l’Inde.
Pareil à un souvenir qui s’efface, dans le lointain ensoleillé se perdent, d’instant en instant, Madras, le port, les barques indigènes, les barges de charbon, les coolies en turban. La côte diminue, se rétrécit ; à la lunette, l’on ne distingue plus qu’une mince ligne de jungle dont les fourrés serrés doivent abriter des tigres.
Au déclin du jour, une petite lumière falote et vacillante s’allume au cap Comorin. Une mouette endormie sur les vagues s’éveille et s’enfuit à tire d’aile vers la lueur qui perce l’ombre. Mon regard la suit et ma pensée en une vision merveilleuse évoque les horizons de lumière, les fastes évanouis, les richesses, la gloire immortelle, l’âme superbe de cette terre qui nous fut bonne et dont la forme indécise achève de s’abîmer dans la nuit.