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À Travers l’Inde en Automobile

Ce malheureux pays du Bengale, que les Anglais exploitent comme une mine inépuisable, est l’unique partie de l’Inde dépourvue des facilités que le Gouvernement prodigue ailleurs. Avec une candeur exquise, il s’excuse, en faisant observer que de ce côté de la province, il y a très peu de fonctionnaires britanniques. L’on ne voit en effet pas un seul dak bungalow. La température est lourde, le soleil cuisant ; à certaines époques de l’année la contrée doit être submergée ; une espèce de plateforme, très élevée au-dessus du niveau du chemin, indique qu’à ces moments là piétons et cavaliers prennent le « bund » comme voie de communication.

Vers midi, nous apercevons une agglomération importante de maisons construites en bois et en torchis ; chacune d’elle est séparée de sa voisine par un jardinet, qui fournit aux habitants les légumes et les fruits indispensables à leur nourriture strictement végétarienne. Nous terrorisons la population ; les femmes se sont tapies derrière les murailles de chaume des huttes ; elles supplient leurs époux de s’éloigner de ce monstre rugissant et souillant, nous le présumons du moins, car il est impossible de distinguer en quelle langue elles poussent leurs cris assourdissants. Aucun de ces indigènes ne comprenant l’anglais, il sera difficile de s’expliquer. Une idée ingénieuse vient au chauffeur ; il tire son portefeuille en leur montrant une enveloppe et fait le geste de la laisser tomber dans un sac ou dans une boîte. Alors les figures s’épanouissent, ils ont tous saisi cette mimique : nous voulons aller à la poste.

Les enfants s’offrent à nous y conduire et le village au grand complet nous escorte. Pittoresque, la poste ! quatre bancs de bois, une table sous un hangar en palmes enlacées, par terre un coffre où s’entassent les correspondances pressées : celles que les facteurs prennent lorsqu’ils ont le temps. Elles n’arrivent pas toujours ; souvent le porteur, malgré le bâton garni de clochettes qu’il agite pour l’éloigner, rencontre « le maître de la jungle[1] » et le petit paquet suspendu à sa pique à la façon des coureurs antiques, se fane et s’effrite dans le sang du coolie dévoré.

L’existence du babou, maître de poste, ne comporte aucune de ces tragiques éventualités et à Dadpour (je vois le nom inscrit sur une pancarte) particulièrement, la situation se rapproche furieusement de la sinécure.

Un cercle s’est formé autour de nous, afin de ne pas perdre un seul détail de notre entrevue avec le post-master. Lorsqu’il

  1. Le tigre, expression Bengali.