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En Bengale

aux alentours ; une fillette rassemble des hardes séchant sur une haie et des chevriers, faisant claquer de petits fouets, s’efforcent de ramener à leurs étables de paillis des chèvres indisciplinées.

Des champs déserts, des plaines à l’herbe brûlée, des bois de bambous clairsemés se succèdent sans indiquer le moins du monde les environs d’un village. Une pluie fine et mouillante commence à tomber, transformant la poussière en une boue épaisse qui s’attache aux roues de la machine et la retient. Dans peu d’instants la campagne sera ruisselante d’eau. Un sourd grondement se rapproche de minute en minute, les éclairs sillonnent la nue, un lacet de feu nous aveugle suivi d’un fracas épouvantable : à quelques centaines de mètres de la machine un bel arbre flambe. La peur de l’orage est la seule crainte qui ne se raisonne pas, et lorsqu’un être affligé de cette terreur a comme moi la perspective de passer la nuit à la belle étoile, sa frayeur devient une torture, Je voudrais m’ensevelir dans un fossé, m’enterrer sous la route, mon frère épuise ses consolations et sa pitié à me rassurer ; j’étais descendue de voiture, je consens cependant, la première émotion passée, à y remonter et à continuer.

Nous devrons atteindre un village bientôt, d’après les cartes…, mais il ne faut pas perdre de vue qu’en dix ans bien des choses changent, même aux Indes. Le crépuscule presque nul dans ces pays-ci est encore écourté aujourd’hui par l’état de l’atmosphère, nous allons peut-être dépasser sans l’apercevoir une cabane, un bungalow, que sais-je ? Et cette colonne de feu qui craque et pétille sous nos yeux, semble avoir été allumée pour nous rappeler expressément les dangers qui nous menacent.

À la lueur des flammes, un chacal, des oiseaux de proie festoient des restes à demi-consumés d’une vache foudroyée. C’est horrible.

L’orage semble se calmer, puis il redouble de violence et finalement il s’abat en torrents de pluie. Les gouttes drues et serrées nous piquent au visage comme des épingles et tombent devant nous formant un rideau liquide presque impénétrable. C’est par une chance exceptionnelle que nous évitons un « gharri »[1] qui vient vers nous et marche dans les ornières que nous suivons.

Les conducteurs s’arrêtent à vingt mètres l’un de l’autre, éprouvant des sentiments bien dissemblables. Chez nous, c’est de la joie, il faut croire qu’enfin nous allons trouver un abri ; quant au cocher, la stupéfaction et la peur se succèdent sur son visage. Les chevaux, de leur côté, se rebiffent, ils tentent un tête à queue

  1. Voiture indigène.